Attention aux données et biais cachés
Ottawa-Montréal
Au CIMT, nous voyons la collaboration et le partage d’information comme des ingrédients clés du succès de notre travail. Cela veut dire, entre autres, comprendre comment un meilleur accès à une information de qualité sur le marché du travail peut améliorer les résultats pour les populations sous-représentées. Donc lorsque j’ai appris que la conférence du Centre interuniversitaire québécois de statistiques sociales (CIQSS) portait sur l’immigration, j’ai ressorti mon dictionnaire anglais-français et j’ai fait ma valise pour Montréal.
Des données qui dansent dans ma tête
La conférence, qui se déroulait à HEC Montréal, tenait lieu de forum où les spécialistes en sciences sociales du Canada et des États-Unis pouvaient collaborer et partager leurs projets actuels, basés sur les plus récentes données sociales et commerciales canadiennes. En exploitant de nouvelles sources de données tel que la Base de données canadiennes sur la dynamique entre employeurs et employés, et de plus anciennes tel que la Base de données sur la mobilité intergénérationnelle du revenu (BDMIR), l’Enquête sur le milieu de travail et les employés (EMTE) et le Fichier relatif au droit d’établissement des résidents permanents, les chercheurs sont à même d’investiguer sur des questions comme le lien entre l’alphabétisation et les déséquilibres par niveau de compétence sur le marché du travail ou encore la relation entre l’immigration et la productivité.
Comme je travaille personnellement sur l’information sur le marché du travail (IMT) à titre d’économiste, j’espérais que la recherche de mes pairs contribuerait à stimuler la conversation sur le rôle de l’IMT dans l’analyse et l’amélioration de la situation économique et sociale des personnes immigrantes au Canada. Tous les chercheurs le savent, les données sont le plus souvent ce qui restreint le potentiel de réussite d’une étude, donc la perspective d’ensembles de données nouveaux ou mis à jour, offrant de meilleures informations locales et des renseignements plus granulaires, est réjouissante.
Une idée inattendue
Durant les deux jours de la conférence, j’ai assisté à plusieurs présentations et découvert des études fascinantes. Comme je l’espérais, j’en suis ressorti avec des idées sur les façons dont le CIMT pourrait soutenir la mesure des résultats sur le marché du travail des populations sous-représentées. Mais un message – ou plutôt, un avertissement – inattendu du sociologue Richard Alba m’a particulièrement marqué.
En se servant de données des États-Unis, le sociologue a traité du réalignement ethnoracial dans les sociétés d’immigration nord-américaines. Alba a expliqué que les démographes traitent généralement les groupes ethnoraciaux comme étant distincts et mutuellement exclusifs, notamment dans les projections démographiques. La recherche montre toutefois que les frontières entre ces groupes se brouillent progressivement. La plus grande mobilité sociale des minorités a entraîné une meilleure intégration et, conséquemment, un métissage, incluant fréquemment des unions avec des personnes de race blanche. La majeure partie des enfants issus des unions entre groupes ethnoraciaux s’identifient à leur origine provenant d’un groupe majoritaire plutôt que celle d’une minorité. Toutefois, en raison du fonctionnement des recensements, les données ne reflètent pas cette réalité.
Le message
Il peut s’avérer difficile de trouver les bonnes données, d’y avoir accès et même de s’en servir. Et l’accessibilité est souvent encore plus limitée par les questions de confidentialité. L’information existante se doit donc d’être aussi exacte et pertinente que possible. Comme chercheurs, on est si habitués à devoir nous ajuster parce qu’il est impossible d’avoir les données adéquates qu’on en vient à oublier de remettre les choses en question, présumant un intérêt commun comme la confidentialité ou quelque impératif scientifique. Mais comme Alba nous le rappelle, on doit être conscients de la façon dont les données sont bâties à l’origine.
Selon Alba, dans les années 1960, lorsque le Bureau du Recensement américain planifiait de permettre d’indiquer plus d’une race, les organisations de défense des droits civiques craignaient que les Afro-américains qui indiquaient « métis » comme identification raciale ne soient pas comptés comme noirs et soient donc « perdus ». Le département de la Justice a décrété que, pour des raisons de droits civiques, toutes les personnes métisse de groupes majoritaire-minoritaire seraient classifiées selon leur origine minoritaire. Alba suggère que les données du recensement et de projections démographiques divergent de plus en plus de la réalité du terrain, à cause de la classification erronée des enfants issues de couples mixtes qui représentent aujourd’hui plus de 15% des naissances.
Conclusions
À la fin de la conférence, je me suis penché sur l’exemple d’Alba et la leçon qu’il comportait. Ça me rappelait Ie dévouement du CIMT envers l’intégrité et la transparence. J’ai pensé à l’importance de la recherche universitaire et des données de qualité pour les processus décisionnels, réfléchi à l’engagement du CIMT envers l’objectivité et l’impartialité. Et je ne pouvais m’empêcher de conclure que chacun de nous doit contribuer à améliorer la qualité des données en étant conscient de la manière dont celles-ci sont bâties et de leur raison d’être à l’origine. Représentent-elles vraiment la façon dont les gens se perçoivent, ou sont-elles plutôt le reflet d’une stratégie institutionnelle ou gouvernementale quelconque?
Vous pouvez consulter et télécharger d’autres présentations de la conférence à partir du programme.
En tant qu’économiste du CIMT, Anthony Mantione contribue à l’avancement du mandat du CIMT par l’application de techniques informatiques à l’analyse des données.