Avenir du travail
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Des chercheuses et chercheurs ont mis au point l’indice d’exposition aux jeunes pousses en IA (AISE), une nouvelle méthode qui permet de mesurer l’exposition professionnelle à l’intelligence artificielle (IA).
Contrairement aux évaluations théoriques, cet indice s’appuie sur les applications d’IA réellement développées par des entreprises émergentes pour déterminer quels emplois sont visés par l’automatisation.
La méthodologie repose sur les données de 958 jeunes pousses en IA financées par Y Combinator entre 2005 et mars 2024 (dont la majorité après 2020). Elle mobilise le modèle de langage Llama 3 de Meta afin d’évaluer dans quelle mesure les applications de ces entreprises peuvent remplacer des personnes pour l’exécution de tâches essentielles dans plus de 1 000 professions. Cette approche prend ainsi en compte non seulement la faisabilité technique, mais aussi la viabilité économique et l’acceptabilité sociale de l’adoption de l’IA.
Les résultats diffèrent sensiblement de ceux obtenus par les mesures antérieures de l’exposition à l’IA.
Les indices traditionnels, comme l’AIOE de Felten et coll., les évaluations du risque d’automatisation de Frey et Osborne ou encore les mesures fondées sur les brevets s’appuient généralement sur l’avis d’expert·es, sur des évaluations participatives ou sur des analyses de brevets pour estimer le potentiel d’automatisation, sans tenir compte de l’activité réelle du marché. Ces approches concluaient souvent que des professions hautement qualifiées comme les juges, les chirurgiennes pédiatriques ou les praticiens médicaux spécialisés étaient très exposées à l’IA en raison de leurs compétences cognitives. L’indice AISE, pour sa part, montre que ces professions ont en réalité une exposition faible.
Par exemple, les administrateur·rices de bases de données et les avocat·es requièrent tous des compétences cognitives poussées, mais leurs niveaux d’exposition diffèrent considérablement : les premiers sont beaucoup plus soumis à une pression d’automatisation concrète. Cela illustre le fait que les professions à forte responsabilité et à forte charge éthique posent d’importants obstacles à l’intégration de l’IA, au-delà de la faisabilité technique.
À l’inverse, les emplois qui reposent sur des tâches organisationnelles routinières obtiennent les scores AISE les plus élevés. Ces postes impliquent souvent le traitement de l’information, l’analyse de données et des fonctions administratives que les jeunes pousses cherchent à automatiser.
L’étude a aussi cartographié l’exposition à l’IA selon les régions et les secteurs. Aux États-Unis, les zones métropolitaines où les écosystèmes technologiques sont solides (comme San José et San Francisco) sont beaucoup plus exposées à l’IA que les régions axées sur la fabrication et l’agriculture, ce qui reflète la dépendance économique de ces dernières à des industries plus lentes à adopter les technologies d’IA.
Sur le plan sectoriel, les industries de services qui exigent un traitement intensif de l’information présentent une exposition plus forte que les secteurs traditionnels comme la construction ou l’agriculture. Toutefois, les services éducatifs et les soins de santé affichent une exposition moindre malgré un niveau de qualification élevé, ce qui montre que le savoir spécialisé demeure une barrière importante à l’adoption pratique de l’IA.
Cette approche pallie ainsi les limites des mesures existantes, qui reposent sur des évaluations d’expert·es ou sur les brevets et qui peuvent être subjectives ou décalées par rapport aux réalités du marché. Comparé à l’indice AIOE pour 873 professions qui se chevauchent, l’indice AISE présente une forte corrélation, tout en révélant des profils distincts. En s’appuyant sur l’activité des jeunes pousses, AISE reflète les innovations guidées par le marché et la confiance des investisseurs dans des applications précises de l’IA.
Les chercheuses et chercheurs ont aussi examiné l’exposition à l’automatisation robotique à partir des données de 103 entreprises émergentes spécialisées en robotique. Les résultats indiquent que la combinaison IA-robotique pourrait toucher un éventail encore plus large de professions. Plusieurs emplois faiblement exposés à l’IA se révèlent fortement exposés aux robots propulsés par l’IA, notamment dans les rôles manuels. Cela laisse croire que l’association IA-robotique pourrait bouleverser le marché du travail encore davantage que chaque technologie prise isolément.
Ces résultats sont lourds d’implications pour la planification de la main-d’œuvre et l’élaboration de politiques. Plutôt qu’un déplacement massif de personnes hautement qualifiées, cette recherche met en évidence une dynamique plus nuancée, où ce sont surtout les tâches cognitives routinières qui font face à un risque immédiat.
La concentration géographique de l’exposition à l’IA souligne également la nécessité de stratégies adaptées aux réalités régionales pour gérer cette transition technologique.
Enfin, la méthodologie AISE présente l’avantage de pouvoir être mise à jour en continu grâce à de nouvelles données issues des jeunes pousses, ce qui offre un suivi en temps réel des impacts de l’IA. Elle pourrait aussi guider le développement de politiques plus réactives et aider les parties prenantes à anticiper les transformations du marché du travail à mesure que les technologies d’IA progressent.