Groupes de comparaison des revenus
Des chercheurs de partout au pays, dont moi, attendaient avec impatience le lancement de la Plateforme longitudinale sur l’éducation et le marché du travail en novembre dernier. En reliant les dossiers d’éducation postsecondaire et de formation d’apprenti aux retours d’impôts individuels, la plateforme constitue un grand progrès en vue de régler le déficit de données au Canada (article en anglais) récemment décrié.
Un récent article de Perspectives de l’IMT signé Behnoush Amery présente les possibilités et limites de la plateforme. L’estimation des retours sur investissement provenant de l’éducation et la façon dont ceux-ci ont changé au fil du temps est une question politique importante. Mme Amery souligne qu’il manque à la plateforme un groupe de contrôle afin d’estimer les revenus des travailleurs qui n’ont pas poursuivi d’études collégiales ou universitaires ni participé à un programme de formation d’apprenti. Un vaste segment de la main-d’œuvre est dans cette situation, et ses revenus constituent un important point de comparaison pour évaluer les retours sur investissement de l’éducation et de la formation.
Mon équipe du New Brunswick Institute for Research, Data and Training (NB-IRDT), à l’Université du Nouveau-Brunswick, travaille en collaboration avec le CIMT en vue de trouver des solutions à ce problème. Sans surprise, la qualité des groupes de comparaison potentiels est meilleure si l’on dispose d’une plus grande période de référence. Dans cet esprit, je résumerai brièvement les solutions que nous avons proposées dans l’immédiat ainsi qu’à moyen et long terme.
Solutions immédiates
Étant donné le manque de données sur les individus n’ayant pas poursuivi leur formation au-delà du secondaire dans la plateforme, les chercheurs pourraient se servir d’une approche par cohorte synthétique. L’approche est synthétique puisque les groupes témoins seraient tirés de différentes sources de données sur les revenus (p. ex. : l’Enquête sur la population active ou le questionnaire long du recensement), mais les cohortes seraient définies par les mêmes critères de sélection de l’échantillon.
Le défi principal ici est de faire correspondre les caractéristiques pertinentes comme l’âge, le genre et le domaine d’emploi pour toutes les sources de données. Plusieurs techniques d’appariement existent, mais la spécificité des cohortes serait limitée par la disponibilité des renseignements démographiques et occupationnels dans la plateforme. Néanmoins, l’approche par cohorte synthétique constitue un mécanisme simple pour concevoir un groupe de comparaison des revenus raisonnable au moyen des ensembles de données existants.
Solutions à moyen terme
La plateforme relie actuellement les dossiers du Système d’information sur les étudiants postsecondaires (SIEP) et du Système d’information sur les apprentis inscrits (SIAI) aux dossiers fiscaux du Fichier des familles T1 (FFT1). Les données du FFT1 sont couplées seulement pour les individus qui existent dans les deux autres bases de données. L’intégration dans la plateforme des données des dossiers FFT1 qui ne sont pas déjà appariés à un dossier du SIEP ou du SIAI serait un exercice assez simple pour Statistique Canada, au moyen d’un couplage de données inversé.
Ce couplage inversé permettrait d’inclure, au sein de la plateforme, les individus qui n’ont pas participé à un programme collégial ou universitaire public ni à une formation des apprentis inscrits au Canada. Cela comprendrait donc la population cible souhaitée (c’est-à-dire ceux qui ont uniquement complété des études secondaires) ainsi que les titulaires de diplômes d’études postsecondaires étrangers. L’inclusion de ce groupe risque cependant de baiser à la hausse les revenus du groupe de comparaison en incluant les immigrants et les Canadiens formés à l’étranger.
Une solution à ce problème serait de limiter le couplage inversé aux individus dont les revenus sont stables à partir de 18 ou 19 ans – un bon indice de travail régulier dès la sortie du secondaire. Bien que cette solution pourrait exclure les jeunes parents temporairement hors main-d’œuvre, elle donnerait des résultats moins déformés que la prise en compte de tous les couplages inversés.
Solutions à plus long terme
La meilleure solution pour développer un groupe de comparaison des revenus fiable et complet est de coupler les données du questionnaire long du recensement (et potentiellement de l’Enquête nationale auprès des ménages 2011) aux données existantes de la plateforme. Le questionnaire long du recensement offre une immense quantité de renseignements sur les niveaux de scolarité et de revenu individuels. La combinaison de ce couplage et du couplage inversé des dossiers restants du FFT1, comme suggéré plus haut, permettrait d’obtenir un ensemble précis d’individus n’ayant pas reçu d’éducation ou de formation postsecondaire.
Il est essentiel de progresser vers la conception d’un groupe de comparaison des revenus exhaustif pour se faire une idée claire des avantages financiers que procurent l’éducation et la formation ainsi que de leur évolution au fil du temps.
Vers l’avenir
L’environnement de données de la Plateforme longitudinale sur l’éducation et le marché du travail constitue une grande avancée qui donnera accès à des couplages de données extrêmement utiles à la recherche pour l’élaboration de politiques. Statistique Canada et le CIMT collaborent afin de trouver des solutions aux limites actuelles de la plateforme par de nouveaux couplages de données et travaillent à améliorer les indicateurs du marché du travail provenant de cet environnement de données. Les nouveaux couplages amélioreront encore davantage le potentiel des données et nous aideront à comprendre le rôle multiforme que joue l’éducation dans la vie des Canadiens. Les innombrables perspectives et recommandations que l’on pourra tirer de cette plateforme sont emballantes, et les décideurs, les éducateurs et tous les Canadiens auront l’occasion d’en profiter au cours des prochaines années.
Ted McDonald est professeur de sciences économiques à l’Université du Nouveau-Brunswick, directeur académique du Centre de données de recherche du Nouveau-Brunswick, directeur de l’Institut de recherche, de données et de formation du Nouveau-Brunswick et membre du Groupe d’experts en information sur le marché du travail des PRFM.