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Pour une vision pancanadienne de l’intelligence artificielle

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Cet éditorial a été publié le 10 août 2023 dans La Presse.

Au mois de mai dernier, des dizaines d’experts de l’intelligence artificielle (IA) parmi les plus grands au monde – dont celui que l’on considère comme le « parrain » de l’IA, le Canadien Geoffrey Hinton – ont publié une déclaration massue de 22 mots prévenant que l’IA présentait un risque existentiel pour l’humanité.

Quoiqu’au Canada et ailleurs dans le monde plusieurs ont semblé prendre note de cette mise en garde, le sentiment d’urgence dont elle était porteuse manque à l’appel.

Or, si le ciel n’est pas encore en train de nous tomber sur la tête, les conséquences sur le terrain du recours croissant à une information générée par l’IA sont déjà manifestes.

Prenons le marché du travail.

Nous avons tous entendu parler de la crainte justifiée que l’IA pourrait éliminer des millions de bons emplois partout dans le monde en remplaçant les humains par des algorithmes.

Mais l’incidence d’une IA non ou mal réglementée sur l’information sur laquelle nous comptons pour faire des choix de carrière et de vie est encore plus insidieuse – parce que cela risque de se produire sous le radar.

Déjà aujourd’hui, demandeurs d’emploi, employeurs et décideurs prennent des décisions de grande importance sur la base d’une information générée avec l’aide de l’IA. Cela ne va qu’augmenter, et pourtant on se préoccupe relativement peu de savoir qui, ou quoi, assemble et diffuse cette information générée par l’IA, ou quelle est son exactitude.

L’avertissement de Geoffrey Hinton et d’autres devrait rappeler aux divers gouvernements au Canada qu’il est essentiel de mieux comprendre et, surtout, mieux apprivoiser ces nouvelles technologies devenues essentielles pour notre bien-être économique et social.

L’IA et les outils d’apprentissage automatique sont déjà largement utilisés pour démêler le fouillis d’information existant sur le marché du travail – emplois offerts, salaires, tendances du chômage, etc.

Défendre notre souveraineté numérique

Or, le Canada risque de céder un élément important de sa souveraineté numérique s’il ne contrôle pas la technologie utilisée pour réunir et analyser des données essentielles sur le milieu de travail.

Le risque que présentent des données erronées et des modèles prédictifs biaisés est important. Les fournisseurs privés d’analyses du marché du travail, souvent sous contrôle étranger, peuvent fournir une image floue ou incorrecte de ce qui se produit réellement sur le marché du travail canadien, et nous n’aurions aucun moyen de le savoir.

Par exemple, un leader mondial de l’analyse du marché du travail établi aux États-Unis, dont les services sont largement utilisés au Canada, n’exploite pas de données figurant sur des sites d’offres d’emplois francophones.

En conséquence, l’information qu’il génère peut négliger de vastes sections du marché du travail québécois, entraînant une analyse imparfaite qui déferle à travers le pays.

De plus, comme la plupart des développements dans ce domaine sont maintenant la chasse gardée du secteur privé, les utilisateurs d’information ou d’analyses générées par l’IA ont rarement une prise de vue sur les modèles d’apprentissage automatique, les algorithmes et les données étayant l’information qu’ils utilisent.

Utilisés judicieusement et avec des garde-fous clairement définis, les outils d’IA peuvent être d’une grande utilité. Ils peuvent passer au crible de vastes ensembles de données sur le lieu de travail et de données connexes provenant de diverses sources, notamment les enquêtes gouvernementales, les tableaux d’offres d’emplois, les réseaux sociaux et les sites d’agences immobilières.

À partir de ces données, la technologie peut repérer les tendances, prévoir les perspectives d’emploi et les salaires futurs, repérer les lacunes en matière de compétences entre les régions, les industries et les groupes démographiques, et même indiquer le coût de la vie et les possibilités d’éducation préscolaire dans une région spécifique.

Dans un système fédéral encadré par un accord de libre-échange canadien qui vise notamment à faciliter la mobilité de la main-d’œuvre, l’importance de telles applications semble évidente.

Tirer le meilleur parti du potentiel de l’IA sur le marché de travail constitue une vaste entreprise – et nos gouvernements doivent être non seulement partie prenante, mais des chefs de file.

Il faut que nos gouvernements s’engagent en faveur d’une vision et d’une approche pancanadiennes pour développer et réglementer l’IA.

Comme nous l’a rappelé Geoffrey Hinton, l’urgence d’agir est claire.

Portrait of Massimo Bergamini.

Massimo Bergamini

Directeur général

Massimo Bergamini est un dirigeant d’association chevronné orienté vers les résultats ayant à son actif plus de 30 ans d’expérience en ce qui touche les relations gouvernementales et intergouvernementales, la recherche, la formulation de politiques et les affaires publiques.

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