Table des matières
Principaux constats
- Au plus fort de la pandémie, le nombre d’emplois au Canada a chuté de 3 millions (-16 %) entre février et avril 2020, ce qui a eu des répercussions sans précédent sur l’emploi chez les femmes.
- L’emploi chez les femmes a diminué de 1,52 million au cours de ces deux mois, comparativement à moins de 250 000 emplois perdus au total lors des trois récessions précédentes.
- Les femmes représentent 51 % des pertes d’emploi de février à avril 2020, contre 17 % lors des récessions précédentes.
- Plus de 70 % des pertes d’emploi chez les femmes au cours de cette période ont eu lieu dans des professions peu rémunérées.
- Le nombre d’heures rémunérées des femmes a également été touché au plus fort de la pandémie, car les fermetures d’écoles ont augmenté la pression quant aux soins et à l’éducation des enfants, en particulier des plus jeunes:
- Parmi les ménages ayant au moins un enfant de moins de 7 ans, le nombre moyen d’heures rémunérées des femmes a diminué de 26 % (de 27 heures par semaine en moyenne en février à 20 heures par semaine en avril). En comparaison, la baisse est beaucoup plus faible chez les hommes (de 38 heures à 32 heures, soit 16 %).
- Au cours de cette période de deux mois, le nombre de femmes prenant une semaine complète de congé pour des raisons personnelles ou familiales a augmenté de 24 % jusqu’en avril 2020, contre une augmentation de 3 % chez les hommes.
- La reprise de l’emploi a été instable et particulièrement faible chez les femmes:
- En janvier, l’emploi des femmes reste à 485 000 (-5,3 %) sous le niveau prépandémique. Chez les hommes, le manque à gagner est de 374 000 (-3,7 %).
- Les femmes représentent actuellement 56 % du manque à gagner en matière d’emploi, soit 8 points de pourcentage de plus que leur part dans la période prépandémique (48 %).
- Plus de 80 % du manque à gagner en matière d’emploi chez les femmes se situe dans les secteurs de l’hébergement et des services de restauration (-227 000 ou -35 %) et du commerce de détail (-168 000 ou -14%).
- La majeure partie de ce manque à gagner est concentrée dans les professions à faible revenu, où l’emploi des femmes est inférieur de 557 700 (-14 %) à son niveau d’avant la crise (l’emploi des femmes dans les emplois à revenu élevé est supérieur au niveau prépandémique). L’emploi des hommes à faible revenu a diminué de 339 250 (-12 %).
Introduction
La pandémie mondiale de COVID-19 a provoqué le plus grand effondrement de l’activité économique de notre époque, notamment la perte sans précédent de trois millions d’emplois au Canada (-16 %) entre février et avril 2020. En réaction au virus, les gouvernements à travers le Canada ont imposé diverses mesures de confinement, provoquant des fermetures d’entreprises et réduisant les capacités d’exploitation. En outre, la crainte de la contagion et le risque de contracter la COVID-19 ont également contribué à réduire considérablement la demande de nombreux services nécessitant une interaction humaine. Les questions de santé publique liées à la pandémie ont entraîné des effets sur la répartition dans différents secteurs et pour diverses catégories de travailleurs. Plus particulièrement, par rapport aux ralentissements précédents, les femmes ont subi une part plus importante des répercussions sur le marché du travail et des conséquences sociales, et elles continuent à faire face à plusieurs difficultés. En janvier 2021, l’emploi au Canada ne s’est pas encore complètement rétabli, et il reste un manque à gagner de 860 000 emplois (-4,4 %) par rapport au niveau prépandémique.
Au cours de la première vague de la pandémie, les femmes représentaient 51 % des trois millions d’emplois perdus en mars et avril 2020, soit un peu plus que leur part de l’emploi avant la pandémie (48 %). Depuis lors, la reprise de l’emploi, rapide mais incomplète, a progressé plus lentement pour les femmes que pour les hommes. En conséquence, les femmes représentent désormais 56 % de la perte nette d’emplois entre février 2020 et janvier 2021. Cet écart croissant entre les femmes et les hommes s’explique en partie par le fait que les pertes d’emploi initiales étaient largement (mais pas uniformément) réparties entre les secteurs, alors que la reprise a été beaucoup plus lente dans les secteurs de services orientés vers la clientèle (par exemple : l’hébergement, les restaurants, la vente au détail, etc.), où les femmes sont surreprésentées.
La répartition entre les secteurs n’explique toutefois pas entièrement l’effet sur l’emploi des femmes. Dans l’ensemble de l’économie, les professions moins bien rémunérées ont également été durement touchées par les pertes d’emplois; les femmes représentent 58 % de ces professions. En janvier 2021, l’emploi des femmes à faible revenu reste inférieur de 13,8 % (-557 000 emplois) à son niveau d’avant la pandémie, contre 11,5 % (-339 250 emplois) pour les hommes. En outre, les charges familiales supplémentaires causées par la fermeture des garderies et des écoles sont largement tombées sur les mères, en particulier celles qui ont de jeunes enfants.
Un an après le début de la pandémie, les effets de la COVID-19 sur le marché du travail continuent d’évoluer. Ce Rapport de perspectives de l’IMT propose une analyse de l’un des nombreux aspects uniques de la pandémie : les répercussions sans précédent sur l’emploi des femmes. Le rapport donne un aperçu de la pandémie avec une comparaison avec les récessions passées, une présentation des conséquences sur l’emploi par secteur (avec un accent sur l’emploi des femmes), ainsi qu’une analyse des pertes d’emploi par groupe de revenu et de l’effet sur les mères et les pères qui travaillent.
Effets genrés des dernières récessions
La crise de la COVID-19 est fondamentalement différente des récessions passées
Les conséquences économiques de la COVID-19 présentent plusieurs différences fondamentales par rapport aux récessions passées. Tout d’abord, il est question de santé publique plutôt que de fluctuations économiques. Les mesures de confinement obligatoires ordonnées par les gouvernements partout au Canada pour contenir la propagation du nouveau virus mortel ont entraîné la fermeture d’entreprises ou la réduction de leur capacité d’exploitation. La crainte de la contamination dans la population a également contribué de manière importante à la baisse de la demande de services nécessitant des interactions en personne, comme on peut le constater dans les pays qui n’ont pas imposé de mesures de confinement strictes (par exemple en Suède). Ensuite, les mesures de confinement n’étaient pas limitées aux entreprises; elles ont aussi entraîné la fermeture des garderies et des écoles, ce qui a alourdi la tâche des parents et des tuteurs. Même si les écoles ont réagi à la pandémie en passant à l’apprentissage virtuel, la présence des enfants à la maison a tout de même demandé du temps et de l’attention aux parents. Enfin, l’ampleur des répercussions de la pandémie sur le marché du travail est sans précédent. Aux mois de mars et avril 2020, 3 millions d’emplois (16 %) ont été perdus, soit plus que lors des trois dernières récessions réunies et en une fraction du temps seulement.
En raison de ses caractéristiques uniques, la pandémie de COVID-19 a eu plusieurs effets distributifs importants sur les travailleurs et les travailleuses. En fait, pour la première fois, les femmes représentent la majorité des pertes d’emploi. Les fermetures ont eu des conséquences démesurées sur les emplois du secteur des services, en particulier les emplois moins bien rémunérés nécessitant des interactions en personne avec le public, dans lesquels les femmes sont surreprésentées. De plus, comme nous le verrons plus loin, la charge d’avoir des enfants à la maison repose principalement sur les épaules des mères. Alors que les femmes cherchaient à remplacer le revenu du ménage perdu en entrant sur le marché du travail lors des récessions passées, dans le cas présent, les femmes travaillent souvent pour remplacer les services normalement fournis par les garderies et les écoles.
L’ampleur des répercussions de la pandémie sur le marché du travail et certaines de ses caractéristiques uniques sont présentées à la figure 1, qui montre que les pertes d’emploi en mars et avril 2020 ont effacé 15 années de gains. Dans l’ensemble, l’emploi chez les femmes au Canada a augmenté de près de 1,47 million, passant de 7,6 millions en janvier 2006 à 9,1 millions en février 2020, soit une hausse de 19 %. L’emploi chez les hommes a connu une croissance presque équivalente, passant de 8,6 millions en 2006 à 10,0 millions en février 2020 (17 %). Au cours des deux mois suivants, mars et avril 2020, ces 15 années de croissance de l’emploi ont été effacées, l’emploi ayant diminué de 1,52 million (pour atteindre 7,5 millions) chez les femmes et de 1,46 million (pour atteindre 8,6 millions) chez les hommes. Autrement dit, bien qu’elles représentent 48 % de la population active, les femmes ont subi 51 % des pertes d’emploi aux mois de mars et avril 2020.
Avec la levée des restrictions gouvernementales, l’été 2020 a été marqué par une reprise rapide mais incomplète de l’emploi. Fin 2020, la croissance de l’emploi a ralenti et a commencé à s’inverser avec la propagation de la deuxième vague et la réimplantation de mesures de confinement. Les données de janvier 2021 indiquent que l’emploi chez les femmes reste inférieur de 5,3 % à son sommet prépandémique, ce qui représente une baisse de près d’un demi-million (-484 500 emplois) par rapport à février 2020, contre 3,6 % (-374 000 emplois) chez les hommes. L’écart croissant dans la reprise entre les femmes et les hommes reflète le fait que les mesures de la deuxième vague ont touché de manière plus isolée les secteurs des services orientés vers la clientèle (par exemple : l’hébergement, les restaurants, la vente au détail, etc.), dans lesquels les femmes sont surreprésentées. Si ces secteurs ont été durement perturbés au printemps 2020, les mesures initiales ont également été plus susceptibles d’affecter la construction et la fabrication.
Figure 1: Niveaux d’emplois chez les hommes et les femmes, janvier 2006 à janvier 2021(Les zones grises désignent les crises économiques.)
Calculs du CIMT ; Statistique Canada, Enquête sur la population active, tableau 14-100-287.'Données désaisonnalisées.'
Les hommes comptaient pour plus de 80 % des pertes d’emploi lors des récessions précédentes
La tendance de l’emploi sur 15 ans illustrée à la figure 1 inclut également la crise financière mondiale de 2008-2009. Bien que les proportions soient plus faibles, les pertes d’emploi sont évidemment beaucoup plus importantes chez les hommes que chez les femmes. En effet, lors de cette récession, les hommes ont représenté plus de 82 % de tous les emplois perdus. Cet effet disproportionné sur l’emploi des hommes, comme le montre le tableau 1, a été la norme lors des récessions précédentes. Bien que chaque récession soit différente, les pertes d’emploi des hommes reflètent en partie leur surreprésentation dans les secteurs de production de biens (par exemple : la fabrication, la construction, le pétrole et le gaz), qui, exception faite de la pandémie de COVID-19, ont eu tendance à être soumis à des fluctuations plus importantes de la demande de main-d’œuvre que les secteurs de services. De plus, les récessions des années 1980 et 1990 se sont déroulées dans un environnement social et économique très différent, dans lequel les femmes représentaient une part beaucoup plus faible de la population active (voir l’encadré 1).
Encadré 1 : La représentation croissante des femmes sur le marché du travail canadien
Les changements réglementaires et l’évolution des normes sociales ont entraîné une augmentation rapide de la participation des femmes à la population active (c’est-à-dire les personnes employées ou au chômage) dans le dernier tiers du 20e siècle. La part des femmes d’âge moyen (25 à 54 ans) dans la population active canadienne est passée d’un peu plus de la moitié (52 %) en 1976 à plus de 80 % en 2002. Depuis lors, le taux d’activité des femmes est resté stable, oscillant autour de 83 % ces dernières années. À l’inverse, le taux d’activité des hommes d’âge moyen a lentement diminué, passant de 95 % au milieu des années 1970 à 91 % ces dernières années. Cela signifie que l’écart de participation à la population active est resté stable pendant près de deux décennies, le taux des hommes étant supérieur d’environ 8 points de pourcentage à celui des femmes. |
Lors de la crise financière mondiale, les hommes comptaient pour quatre pertes d’emploi sur cinq. D’octobre 2008 à mai 2009, l’emploi chez les hommes a chuté de 3,7 % (-335 000 emplois), tandis que l’emploi chez les femmes a diminué de 0,9 % (-71 200 emplois). Aussi, les femmes ont connu une reprise beaucoup plus rapide, leur emploi étant revenu à son niveau d’avant la récession en janvier 2010. En revanche, l’emploi des hommes n’a repris que 18 mois plus tard, en juin 2011 (voir tableau 1).
De même, juste avant le début de la récession en avril 1990, les femmes représentaient 44 % de l’emploi. Entre ce pic et le creux de l’emploi en avril 1992, elles ont perdu 38 900 emplois (-0,67 %), tandis que les hommes en ont perdu 371 500 (-5,1 %). Si l’on remonte encore plus loin dans le temps, dans les années qui ont précédé la récession ayant débuté en juin 1981, les femmes représentaient moins de 40 % de l’emploi. De juin 1981 à octobre 1982, les femmes ont perdu 123 500 emplois (-2,7 %), tandis que les hommes en ont perdu 464 900 (-6,9 %).
La pandémie de COVID-19 est singulière, à la fois en raison de l’ampleur des pertes d’emploi initiales et parce que, pour la première fois, les femmes ont essuyé la plupart de ces pertes. En mars et avril 2020, les hommes ont perdu 1,46 million d’emplois (-14,6 %) et les femmes, 1,52 million (-16,8 %). Alors qu’elles représentaient près de 48 % de l’emploi en 2019, les femmes ont subi 51 % des pertes d’emploi. Dans l’ensemble, au cours des trois dernières récessions combinées, l’emploi chez les femmes a diminué de moins de 250 000, contre 1,5 million au cours de la pandémie.
Tableau 1 : Au total lors des 3 dernières récessions, l’emploi chez les femmes a diminué de moins de 250 000 , contre 1,5 million au cours de la pandémie
Juillet 1981 à octobre 1982 | Mai 1990 à avril 1992 | Novembre 2008 à mai 2009 | Mars 2020 à avril 2020 | ||
Durée | 16 mois | 24 mois | 7 mois | 2 mois | |
Variation de l’emploi | Femmes | -123 500
(-2,7 %) |
-38 900
(-0,67 %) |
-71 200
(-0,9 %) |
-1,52 million
(-16,8 %) |
Hommes | -464 900
(-6,9 %) |
-371 500
(-5,1 %) |
-333 500
(-3,7 %) |
-1,46 million
(-14,6 %) |
|
Part des pertes d’emploi | Femmes | 20,1 % | 9,5 % | 17,6 % | 51,1 % |
Part de l’emploi avant la récession | Femmes | 39,6 % | 43,9 % | 47,1 % | 47,5 % |
Conséquences sectorielles uniques de la COVID-19
La reprise de l’emploi a joué en faveur des secteurs à prédominance masculine
La tendance à la hausse de l’emploi durant l’été 2020 a ralenti à l’automne, puis a commencé à s’inverser en décembre 2020 et en janvier 2021. Dans une poignée de secteurs nécessitant des interactions en personne avec le public, la reprise s’est arrêtée. En janvier 2021, l’emploi total reste à 858 000 postes (-4,7 %) sous son niveau de février 2020, dont 97 % sont concentrés dans cinq secteurs de l’économie1.
Le tableau 2 montre l’évolution de l’emploi chez les hommes et les femmes dans chacun de ces secteurs entre février 2020 et janvier 2021. Dans les cinq secteurs particulièrement touchés, l’emploi reste au moins 10 % sous le niveau de février 2020. Ces secteurs sont les suivants :
Hébergement et restauration
Commerce de détail
Information, culture et loisirs
Autres services (sauf les administrations publiques)
Services aux entreprises, services relatifs aux bâtiments et autres services de soutien
Ces cinq secteurs ont en commun qu’ils s’appuient principalement sur des activités en personne. Si les hommes ont subi de nombreuses pertes d’emploi dans ces secteurs, dans chaque cas, la baisse relative de l’emploi a été plus importante pour les femmes. En fait, non seulement les femmes sont surreprésentées dans ces secteurs, mais elles ont également essuyé une part plus importante des pertes d'emploi nettes dans chacun d’eux. Plus de 80 % des pertes d’emploi chez les femmes se situent dans les deux premiers secteurs, soit l’hébergement et la restauration et le commerce de détail.
L’emploi a repris dans plusieurs secteurs initialement durement touchés par la pandémie, comme les services immobiliers et services de location et de location à bail, les services d’enseignement et particulièrement les secteurs de la construction et de la fabrication, majoritairement masculins. Par exemple, l’emploi dans le secteur de la fabrication est presque entièrement rétabli et, en janvier 2021, il n’est plus qu’à 0,3 % (-6 000 emplois) sous son niveau de février 2020. Les hommes ont en fait gagné 9 000 emplois (+0,7 %) dans ce secteur, ce qui signifie que les femmes ont à nouveau subi un pourcentage plus élevé des pertes d’emploi.
1 Cela diffère nettement du printemps 2020, lorsque les pertes étaient plus généralisées, l'emploi reculant dans tous les secteurs à l'exception de la finance et des assurances.
Tableau 2 : Variation nette de l’emploi chez les femmes et les hommes, février 2020 à janvier 2021
Femmes | Hommes | |
Total | -485 000 (-5,3 %) | -374 000 (-3,7 %) |
Hébergement et restauration | -227 000 (-35 %) | -144 000 (-27 %) |
Commerce de détail | -168 000 (-14 %) | -73 000 (-7 %) |
Information, culture et loisirs | -56 000 (-17 %) | -60 000 (-15 %) |
Autres services (sauf les administrations publiques) | -75 000 (-18 %) | -7 000 (-1,7 %) |
Services aux entreprises, services relatifs aux bâtiments et autres services de soutien | -46 000 (-14 %) | -28 000 (-7 %) |
Ensemble des autres secteurs | +56 000 (+0,9 %) | -82 000 (-1,1 %) |
Remarque : Les données ne sont pas désaisonnalisées.
Source : Calculs du CIMT; EPA, tableau 14-100-022.
Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs les plus touchés
Parmi tous les secteurs, aucun n’a été aussi durement touché que celui de l’hébergement et de la restauration. Les restrictions sur la possibilité de manger et boire sur place sont restées en vigueur sous une forme ou une autre dans tout le pays depuis l’arrivée de la COVID-19 au Canada. Même en l’absence de règles limitant les repas en salle, la crainte de la contamination aurait certainement éloigné la plupart des clients. En outre, ce secteur comprend de nombreuses entreprises liées au tourisme, qui repose sur une clientèle nationale et internationale qui doit attendre la réouverture des frontières et d’être à nouveau à l’aise de voyager (voir le Rapport de perspectives de l’IMT n° 30). Entre février et avril 2020, près de la moitié des emplois ont été supprimés dans le secteur de la restauration et de l’hébergement, ce qui correspond à une contraction de 583 000 emplois (49 %). Les femmes ont perdu 328 000 emplois au cours de cette période, tandis que les hommes en ont perdu 255 000. Les femmes ont donc représenté 56 % des pertes d’emploi au cours de la première vague de COVID-19, ce qui correspond à leur part d’emploi dans le secteur avant la pandémie (voir la figure 2).
L’emploi a commencé à se rétablir rapidement en hébergement et restauration au cours de l’été 2020, car les cas de COVID-19 sont restés peu nombreux et les gens ont pu profiter de repas en terrasses. En septembre, l’emploi avait atteint 82 % de son niveau prépandémique. Cependant, comme le temps s’est refroidi et l’école a commencé, les cas de COVID-19 ont rapidement augmenté au cours de l’automne et de l’hiver. Les repas en salle sont devenus risqués et, dans certaines régions, des restrictions et des mesures de confinement ont été réintroduites. En janvier 2021, l’emploi dans ce secteur avait considérablement diminué, avec 370 000 postes supprimés, soit une baisse de 31 % par rapport à février 2020. Comme pour l’emploi en général, le fardeau des pertes d’emploi dans le secteur de l’hébergement et de la restauration a de plus en plus pesé sur les femmes, dont l’emploi a diminué de 227 000 (-35 %), ce qui représente 61 % des pertes d’emploi nettes depuis février 2020.
Les barres grises représentent la part de l'emploi des femmes dans chaque secteur pour 2019 et les cercles rouges représentent la part des pertes d'emplois de pic à creux pour les femmes (variation nette de février à avril 2020).
Le secteur du commerce de détail a également été sévèrement touché par la COVID-19, avec une baisse de l’emploi de 23 % (-506 000 emplois) entre février et avril 2020. Ici aussi, l’emploi chez les femmes a été touché de manière disproportionnée. Dans un secteur où elles représentaient 52 % de la main-d’œuvre, elles ont subi 62 % des pertes d’emploi au printemps 2020. Plus précisément, les femmes ont perdu 314 000 emplois (-27 %), tandis que les hommes en ont perdu 193 000 (-18 %) entre février et avril 2020. Depuis lors, le secteur du commerce de détail a connu une reprise constante. En décembre 2020, l’emploi n’avait diminué que de 1,4 % par rapport à février 2020. Cependant, les nouvelles mesures de confinement introduites en décembre 2020 et janvier 2021 ont entraîné la perte de quelque 210 000 emplois. En janvier 2021, l’emploi dans le secteur du commerce de détail était inférieur de 241 000 (-11 %) à son niveau prépandémique. La plupart de ces pertes sont des emplois féminins, soit 168 000 (-14 %) depuis février 2020. Les femmes représentent aujourd’hui 70 % des pertes d’emploi dans le secteur du commerce de détail.
Le secteur des autres services (sauf les administrations publiques) comprend les activités qui nécessitent des interactions en personne, comme les soins personnels, la coiffure et les services de blanchissage. Les autres services comprennent également l’automobile, la réparation et l’entretien de machines, ce qui inclut davantage d’entreprises dites essentielles qui tendent à être à prédominance masculine. Entre février et avril 2020, l’emploi dans ce secteur a diminué de 22 % au total (-179 000 emplois). L’emploi chez les femmes a diminué de 26 % (-107 000 emplois) et celui des hommes, de 19 % (-71 000 emplois), ce qui signifie que les femmes ont représenté 60 % des pertes d’emploi initiales. Depuis, la répartition des pertes d’emploi s’est considérablement déplacée vers les femmes. Alors que l’emploi chez les hommes s’est presque entièrement redressé, avec une baisse de seulement 6 700 (-1,8 %) en janvier 2021, celui chez les femmes a diminué de 74 500 (-18 %). Autrement dit, les femmes représentent désormais 92 % de la baisse nette de l’emploi dans ce secteur.
Le secteur de l’information, de la culture et des loisirs comprend des organisations telles que les musées, l’édition, l’industrie du cinéma et de la télédiffusion, les télécommunications, les arts du spectacle et les loisirs. L’emploi dans ce secteur a diminué de 24 % (-177 000 emplois) entre février et avril 2020. Les femmes représentent 90 000 de ces emplois perdus (-27 %), tandis que les hommes en totalisent 87 000, une proportion plus faible en termes relatifs (-21 %), puisqu’ils représentaient une part plus importante de la main-d’œuvre dans ce secteur. En janvier 2021, l’emploi dans ce secteur est encore inférieur de 16 % (-116 000 emplois) à son niveau de février 2020.
Le secteur des services aux entreprises, services relatifs aux bâtiments et autres services de soutien comprend trois sous-secteurs : (i) gestion de sociétés et d’entreprises; (ii) services administratifs et services de soutien (iii) services de gestion des déchets et autres services. Au cours de la première vague de COVID-19, l’emploi dans ce secteur a diminué de 12 % (-86 000 emplois). Les femmes représentaient 75 % de cette baisse initiale de l’emploi, soit le pourcentage le plus élevé des cinq secteurs les plus touchés. Plus précisément, entre février et avril 2020, l’emploi chez les femmes a diminué de 64 000 (-19 %), et chez les hommes, de 21 000 (-5 %). En janvier 2021, l’emploi dans ce secteur était toujours en baisse de 46 000 (-14 %) chez les femmes et de 28 000 (-7 %) chez les hommes. Les femmes représentaient désormais 62 % des pertes d’emploi nettes dans ce secteur.
Bien que la répartition de l’emploi chez les hommes et les femmes entre les secteurs puisse en partie expliquer pourquoi les femmes ont pour la première fois subi des pertes d’emploi plus importantes que les hommes, elle ne permet pas de saisir la totalité ni même la majeure partie du phénomène. En effet, dans chacun des cinq secteurs durement touchés dont il est question ici, la part des pertes d’emploi des femmes est supérieure à leur part de l’emploi avant la pandémie. Pour simplifier, si deux travailleuses sur trois sont des femmes dans un secteur durement touché, il serait raisonnable de supposer que parmi les personnes qui ont perdu leur emploi dans ce secteur, deux sur trois seraient des femmes. Ainsi, les femmes représenteraient une part « proportionnelle » des pertes d’emploi. Or, dans cette pandémie, les femmes ont pris plus que leur part des pertes d’emploi2. C’est pourquoi il est essentiel de prendre en compte d’autres raisons, non liées à l’industrie, pour expliquer cet écart.
2 La différence entre la baisse nette de l’emploi chez les femmes et les hommes en janvier 2021 est de 1,7 point de pourcentage (-5,7 % contre -4 %). Si l’on compare ces chiffres aux différences moyennes de baisse de l’emploi entre les femmes et les hommes dans chaque secteur et si l’on prend la moyenne (pondérée par le niveau d’emploi d’avant la crise dans le secteur), on obtient une baisse plus importante de 1,4 point pour les femmes, ce qui signifie que 82 % (= 1,4/1,7) de la différence est due à des différences au sein des secteurs.
La COVID-19 a révélé que les femmes sont concentrées dans les emplois faiblement rémunérés et qu’elles réduisent considérablement leurs heures en raison de responsabilités familiales
Au-delà de l’optique sectorielle, notre analyse révèle qu’en raison de leur surreprésentation parmi la main-d’œuvre à faible revenu et de leur rôle de mère, les femmes sont particulièrement vulnérables aux conséquences économiques de la COVID-19.
Femmes à faible revenu
L’effet des récessions varie selon les secteurs, mais une caractéristique commune est que les pertes d’emploi ont tendance à se concentrer chez les personnes à faible revenu3. Lors de la crise financière mondiale et de la pandémie de COVID-19, les personnes à faibles revenus ont davantage souffert que celles à revenus élevés, ce qui suggère que ceux qui ont moins de chances de joindre les deux bouts sont plus susceptibles de subir les conséquences négatives des tendances économiques. La pandémie a mis en évidence le fait que les femmes au Canada sont surreprésentées dans les professions à faible revenu, puisqu’elles comptent pour près de trois de ces travailleurs sur cinq (58 %). Les pertes d’emploi considérables dans ces professions ont contribué à faire augmenter la part des pertes d’emploi des femmes dans leur ensemble, tant lors du ralentissement initial au printemps 2020 que par la suite.
En effet, la récession due à la COVID-19 a eu et continue d’avoir un effet considérable sur les personnes à faibles revenus. Au cours du ralentissement initial entre février et avril 2020, l’emploi chez les personnes occupant des professions peu rémunérées a chuté de 26,1 % (-1,8 million d’emplois), soit près des deux tiers de tous les emplois perdus lors de cette période. De plus, la reprise pour les personnes à faibles revenus a pris un retard considérable par rapport aux autres groupes. En janvier 2021, l’emploi dans son ensemble reste inférieur de 859 000 à son niveau de février 2020. Toutefois, étant donné que les personnes à revenu élevé – tant les hommes que les femmes – ont dépassé leur niveau de février, les postes faiblement rémunérés représentent la quasi-totalité du manque à gagner en matière d’emploi4. En fait, en janvier 2021, l’emploi à faible revenu reste inférieur de 12,8 % (-896 250 emplois) à son niveau de février 2020, avec 13,8 % chez les femmes (-557 000 emplois) et 11,5 % (-339 250 emplois) chez les hommes (figure 3). Au début de la pandémie, les femmes à faibles revenus ont également fait face à un taux de perte d’emploi plus élevé que les hommes. En mars et avril 2020, l’emploi chez les femmes à faibles revenus a diminué de 27,6 % (-1,1 million d’emplois) contre 23,9 % (-704 250 emplois) chez les hommes.
3 Pour définir les travailleurs par catégories de revenus, nous suivons la méthode présentée dans une analyse précédente du CIMT. Les personnes à revenus élevés et faibles sont ensuite définies selon celles qui travaillent dans les 25 % supérieurs et les 25 % inférieurs des professions, et les personnes à revenus moyens sont celles qui travaillent dans les 50 % intermédiaires des professions.
4 L'emploi chez les personnes à hauts revenus n'a diminué que de 3,2 % entre février et avril 2020. En janvier 2021, ils étaient 2,4 % (+100 250 emplois) au-dessus de leur taux maximum d'avant la crise..
Calculs du CIMT; Statistique Canada, EPA, accès à distance en temps réel. Données non désaisonnalisées.
Le nombre d’heures rémunérées a fortement diminué chez les femmes ayant de jeunes enfants
La pandémie de COVID-19 a entraîné la fermeture à grande échelle des garderies et des écoles, ce qui signifie que les enfants devaient rester à la maison, être pris en charge et (si possible) éduqués. Ces fermetures ont eu des effets importants sur la capacité des parents à concilier vie professionnelle et vie familiale. Déjà, avant le début de la pandémie, le nombre moyen d’heures rémunérées des femmes avec enfants était sensiblement inférieur à celui des hommes (figure 4). Avec la responsabilité accrue d’avoir des enfants à la maison, le nombre moyen d’heures travaillées par les femmes et les hommes qui ont conservé leur emploi a chuté de façon spectaculaire au cours des premiers mois de la pandémie. La baisse des heures a été particulièrement marquée chez les femmes ayant de jeunes enfants. Parmi les ménages ayant au moins un enfant de moins de 7 ans, le nombre moyen d’heures rémunérées des femmes a diminué de 26 % (de 27 heures par semaine en moyenne en février à 20 heures par semaine en avril). En comparaison, la baisse a été beaucoup plus faible chez les hommes (15,8 %). En janvier 2021, le nombre moyen d’heures travaillées s’est largement redressé dans tous les groupes de parents et de non-parents.
Les obligations familiales pendant la première vague de COVID-19 ont été un facteur important de la baisse du nombre moyen d’heures travaillées par les femmes. En effet, la plupart des heures réduites par les parents sont attribuées aux personnes qui ne comptabilisent aucune heure de travail mais qui sont restées employées (et donc comptabilisées dans le nombre total et moyen d’heures travaillées). La fermeture des écoles a obligé de nombreux parents à se démener pour trouver des solutions de garde d’enfants, ce qui a souvent signifié qu’un parent devait s’absenter du travail jusqu’à ce que des moyens plus durables soient trouvés. Les données suggèrent que cette charge a principalement pesé sur les femmes, puisque le nombre de femmes déclarant des semaines complètes d’absence du travail pour des raisons personnelles et familiales a augmenté de 24 % entre février et avril 2020; pour les hommes, l’augmentation a été de 3 %. Avec la réouverture des écoles et la reprise économique, les absences du travail pour raisons personnelles et familiales ont commencé à diminuer. À l’automne, le nombre moyen d’heures travaillées par semaine était largement revenu à la normale. Les données disponibles ne permettent toutefois pas de savoir comment les parents concilient leurs obligations familiales.
Conclusion
La pandémie de COVID-19 est une période sans précédent et très difficile pour l’ensemble des Canadiens et Canadiennes. Pour les personnes qui étaient ou sont toujours sans emploi, l’année 2020 a été particulièrement éprouvante. La majorité de celles qui ont perdu leur emploi sont des femmes, ce qui diffère nettement des récessions passées où les hommes ont subi la plus grande part des pertes d’emploi. En janvier 2021, l’emploi chez les femmes restait inférieur de 5,3 % à son niveau prépandémique, contre 3,7 % chez les hommes.
Les femmes sont surreprésentées dans les secteurs durement touchés qui dépendent d’une clientèle en personne, ce qui explique en partie cet effet disproportionné. Toutefois, dans de nombreux cas, les pertes d’emploi des femmes sont plus importantes que leur part de l’emploi. D’autres vulnérabilités en matière d’emploi ont également été exposées par la pandémie. En effet, les femmes représentent 58 % des emplois dans des professions à faible revenu et ont subi des pertes d’emploi plus importantes que leurs homologues masculins. De plus, les répercussions sur les mères qui travaillent ont été rudes, même pour celles qui ont conservé leur emploi. Leur nombre moyen d’heures travaillées a chuté précipitamment, en particulier pour les mères de jeunes enfants, au cours de la première vague de la pandémie au printemps 2020.
Les lourdes conséquences sur le marché du travail que nous connaissons encore aujourd’hui se poursuivront probablement jusqu’à ce que la pandémie soit résolue. Alors que nous réfléchissons à la meilleure façon d’assurer une reprise durable et inclusive, nos actions politiques et nos programmes doivent tenir compte des personnes les plus touchées ainsi que des vulnérabilités sous-jacentes qui ont été exposées par la pandémie.
Remerciements
Le Rapport de perspectives de l’IMT a été préparé par Zoe Rosenbaum, Liz Betsis et Behnoush Amery, du CIMT. Nous aimerions remercier Tammy Schirle (Université Wilfrid Laurier), Sareena Hopkins (Fondation canadienne pour le développement de carrière), Julie L’Allier et Marc Delisle (Emploi et Développement social Canada), Henry Siu (Vancouver School of Economics), Emna Braham (Institut du Québec), Parisa Mahboubi (C.D. Howe Institute), Clemente Pignatti (Organisation internationale du travail) et Richard Horne pour leur rétroaction et leurs commentaires constructifs. Pour plus de renseignements sur ce rapport, veuillez communiquer avec Behnoush Amery, économiste principal, à behnoush.amery@lmic-cimt.ca, ou Tony Bonen, directeur de la Recherche, des données et de l’analytique, à tony.bonen@lmic-cimt.ca.