Salaires et inflation, IA, économie verte : les enjeux du travail dont les Canadiens discutent sur les réseaux sociaux
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Pour bien des gens au Canada, la fête du Travail est la dernière bouffée d’air de la période estivale. Ce jour férié centenaire représente cependant bien plus qu’un long week-end avant le retour du train-train quotidien.
La fête du Travail existe officiellement depuis 1894, mais ses origines remontent aux premières manifestations organisées par les ouvriers et ouvrières qualifiés et les syndicats de métier dans les années 1880-1890. À l’origine instituée en l’honneur du mouvement ouvrier, elle visait à reconnaître et à honorer les contributions et l’engagement des travailleurs et travailleuses du pays, à rappeler les avancées concernant les droits et les conditions de la classe ouvrière et à reconnaître le rôle vital de cette dernière dans l’économie et la société canadiennes.1 Aujourd’hui, la fête du Travail est l’occasion de réfléchir à la situation actuelle de la main-d’œuvre et du marché du travail au Canada.
Pour souligner la fête du Travail, nous posons la question suivante : quels sont aujourd’hui les grands enjeux du travail dont parlent les Canadiens et Canadiennes?
Nous avons réalisé une analyse qualitative et une évaluation des sentiments à partir de publications publiées sur Twitter
Nous avons tiré parti du potentiel des réseaux sociaux pour réaliser une analyse qualitative du contenu et des sentiments en utilisant Twitter comme source principale de données et Meltwater comme outil d’exploration. (Twitter a récemment changé de marque pour devenir « X », mais au moment de cette analyse, en juillet 2023, il s'agissait toujours de Twitter. Nous avons conservé « Twitter » tout au long de cet article pour des raisons de clarté et de facilité de compréhension).
En combinant l’analyse qualitative à l’analyse des sentiments, nous avons pu obtenir une compréhension approfondie du contenu et des émotions sous-jacentes exprimés sur Twitter.
L’analyse qualitative nous a permis de dégager des thèmes, des sujets et des constantes dans les publications, offrant un aperçu contextuel du contenu. Nous avons ainsi pu approfondir les nuances, examiner le sens sous-jacent et extraire des données qualitatives précieuses.
Pour l’analyse des sentiments, nous avons classé les opinions en trois catégories : positives, négatives ou neutres.. Grâce à cette approche, nous avons ainsi obtenu une mesure objective des émotions et des opinions, nous permettant de suivre leurs tendances dans la temps ainsi que leurs variations selon les sujets abordés ou les groupes de personnes concernés.
Nous avons utilisé Twitter comme principale source de données. Malgré les changements survenus en 2022, la plateforme demeure un outil précieux pour la collecte de données. Les utilisateurs et utilisatrices y partagent librement leurs expériences et leurs opinions en participant à des débats et à des discussions ouvertes, ce qui en fait une véritable mine d’informations. Des études ont par ailleurs démontré que Twitter peut être une excellente source de données pour analyser les événements, saisir l’humeur populaire et comprendre divers phénomènes sociaux.2 Au Canada seulement, le réseau compte environ 7,9 millions d’utilisateurs et utilisatrices, et près de 40 % des adultes connectés ont un compte. De plus, 29 % des personnes présentes sur différents réseaux sociaux indiquent utiliser Twitter plus fréquemment que les autres plateformes. Ces statistiques et le recours fréquent à la plateforme dans le cadre d’études similaires mettent en évidence la pertinence et l’importance de Twitter en tant qu’environnement riche en données.
Pour mener notre analyse, nous avons relevé différents enjeux liés au marché du travail qui ont suscité l’intérêt des utilisateurs et utilisatrices à l’échelle nationale et donné lieu à des discussions sur les réseaux sociaux. Les principales questions abordées sont les salaires et l’inflation, l’intelligence artificielle (IA) et la transition vers une économie verte.
Afin de préserver l’anonymat et la vie privée des personnes, les publications mentionnées dans cet article sont des exemples combinés, c’est-à-dire qu’ils regroupent plusieurs publications. Ces publications combinées servent à illustrer les sentiments et préoccupations exprimés par les utilisateurs et utilisatrices de Twitter dans l’ensemble du pays. En utilisant des publications combinées, nous visons à protéger la vie privée des individus tout en reflétant les expériences et les discussions réelles publiées sur les réseaux sociaux.
Analyse des discours sur les salaires et l'inflation au Canada
L’inflation pèse lourdement sur les Canadiens et Canadiennes.
Avec plus de 700 000 publications consacrées aux salaires et à l’inflation au cours des six premiers mois de 2023, notre analyse de contenu a révélé que les gens partout au Canada ressentent de la frustration et de l’anxiété face à l’écart salarial croissant et à l’augmentation du coût de la vie.3
L’analyse des sentiments conduite au moyen de la technique de traitement du langage naturel a permis de constater un fort sentiment négatif associé à ces discussions, dans lesquelles les utilisateurs et utilisatrices évoquent la pression financière et l’anxiété.
Le coût de la vie a atteint un niveau record de 8,1 % en juin 2022, tel que mesuré par l'indice des prix à la consommation - la plus forte augmentation en 40 ans. Des utilisateurs et utilisatrices de Twitter à travers le pays réagissent, partagent des histoires personnelles et expriment leurs inquiétudes concernant le prix des logements, de l’épicerie et d’autres dépenses essentielles. Les discussions portaient principalement sur les défis auxquels se confrontent les familles et les individus dans le contexte de l’augmentation des frais de subsistance de base.
Par exemple, en utilisant les mots-clics #CriseDuLogement #Salaires et #Inflation, les utilisateurs et utilisatrices ont écrit :
« Les prix des loyers montent en flèche, mais les salaires stagnent. Comment sommes-nous censés survivre? »
« La vie est plus inabordable qu’elle ne l’a jamais été de toute ma vie. Ma famille a grandi dans la pauvreté, mais a toujours eu un logement. Je gagne correctement ma vie, mais je ne peux plus payer mon loyer. »
« L’accès à la propriété est désormais hors de portée pour 85 % des ménages. La hausse des prix des loyers dépasse la rémunération mensuelle de nombreuses personnes à bas et moyens salaires. Nous avons besoin d’une offre accrue de logements pour l’achat et la location. »
Ces publications témoignent des inquiétudes de nombreuses personnes au Canada qui peinent à trouver un logement adéquat en raison de l’augmentation limitée de leurs revenus.
Une autre préoccupation commune est l’augmentation du coût de l’épicerie, qui a dépassé les 9,1 % cette année. Les utilisateurs et utilisatrices de Twitter font écho à la frustration collective et décrivent les répercussions de la hausse des prix sur le budget des ménages :
« L’inflation des produits alimentaires est constante et pose des problèmes importants aux groupes les plus vulnérables de la société. Le fardeau de cette hausse des prix est plus lourd pour les individus et les familles ayant des ressources financières limitées. »
« Alors que les factures d’épicerie continuent de grimper, les salaires n’augmentent pas à un rythme qui permette aux individus de faire face à cette escalade des coûts. »
Notre analyse nous a permis de faire les constats suivants :
Analyse des discours au sujet de l’intelligence artificielle (IA) sur le marché du travail au Canada
Notre analyse du contenu révèle aussi que, d’un océan à l’autre, les gens sont à la fois fascinés par l’IA et préoccupés par ses répercussions potentielles sur le marché du travail.
L’analyse des sentiments sur l’IA et les autres formes d’automatisation du travail révèle une diversité d’opinions. Si certaines personnes perçoivent ces technologies avec optimisme et enthousiasme quant aux gains de productivité et aux nouvelles avenues potentielles, d’autres ont exprimé leurs appréhensions et craintes quant aux impacts sur la sécurité d’emploi et l’avenir du travail.
Certains utilisateurs et utilisatrices de Twitter, considérant l’immense potentiel de ces technologies à transformer positivement le marché du travail, manifestent leur enthousiasme optimiste face à l’avenir. Ils voient dans l’IA la possibilité de renforcer les capacités humaines, d’accroître la productivité, de créer de nouvelles professions et d’améliorer la qualité des emplois :
« L’IA révolutionne le marché du travail, ouvre de nouvelles voies d’innovation et stimule la productivité. Nous vivons une période vraiment excitante! »
« C’est formidable d’être aux premières loges et de pouvoir constater comment l'IA révolutionne les industries permet aux travailleurs d'accomplir bien plus qu'auparavant. C'est incroyable de voir comment la technologie façonne le marché du travail pour le meilleur ! »
« Les humains et l’IA joignent leurs forces pour atteindre des résultats remarquables. L’humain apporte la créativité, l’intuition et la pensée éthique, tandis que l’IA fournit des capacités de calcul et de reconnaissance des formes inégalées. Ensemble, nous pouvons accomplir des choses qui étaient autrefois inimaginables. »
« L’IA change nos façons de travailler et crée de nouvelles possibilités fascinantes. Des technologies comme ChatGPT pavent la voie à l’automatisation, ce qui nous permet de nous concentrer sur les tâches importantes. Profitons du potentiel de l’IA pour stimuler la productivité et favoriser le progrès. »
Tous les utilisateurs et utilisatrices ne partagent pas le même enthousiasme quant à l’impact de l’IA ou des technologies d’automatisation sur le marché du travail.
Près d’un tiers des publications sur le sujet étaient neutres. Les gens veulent plus d’informations ou attendent de nouveaux développements avant de prendre une position ferme sur la question :
« Je ne suis pas sûre de ce que je pense de l’arrivée de l’IA dans le monde du travail. Elle a ses avantages, mais il y a aussi des défis potentiels auxquels nous devons réfléchir. »
« L’IA a le pouvoir de libérer les travailleurs et de dynamiser l’économie, ou simplement de faire perdre des emplois à beaucoup de gens… Nous verrons bien. »
L’IA est certes synonyme d’innovation et d’efficacité accrues, mais la possibilité de suppressions massives d’emplois suscite des inquiétudes : plus de 50 % des personnes actives sur la question sur Twitter au Canada expriment des sentiments négatifs à cet égard.
Ces personnes s’inquiètent des suppressions d’emplois à grande échelle et de l’avenir du travail, et rappellent que les capacités d’automatisation de l’IA pourraient entraîner d’importantes restructurations de main-d’œuvre dans divers secteurs, ce qui risque d’exacerber les inégalités économiques et la précarité de l’emploi :
« Contrairement aux technologies d’automatisation précédentes qui rendent les tâches plus efficaces, l’IA a le potentiel de remplacer complètement la prise de décision humaine. Ce qui pourrait entraîner d’importantes pertes d’emploi sans qu’il y ait de solutions de rechange viables. Une poignée de personnes pourrait devenir hyper riche, tandis que tous les autres auraient du mal à joindre les deux bouts. »
« Les progrès rapides de l’IA dans le monde du travail ont un prix. Les ingénieurs logiciels trouveront certainement de nouveaux débouchés, mais la réalité est que l’IA remplace dans bien des cas des travailleurs humains. Par exemple, les camions autonomes offrent des emplois aux ingénieurs logiciels, mais laissent les camionneurs sans emploi. C’est un dur rappel des désavantages liés aux transformations industrielles qu’entraîne l’IA. »
« C’est troublant de voir que les progrès de l’IA mènent systématiquement au remplacement des humains dans de nombreux secteurs. L’attention portée à l’efficacité et à l’économie de coûts masque souvent l’impact sur les moyens de subsistance. »
Dans l’ensemble, notre analyse de contenu met en évidence la nature complexe des sentiments du public à l’égard de l’IA et de son impact sur le marché du travail. Nous avons relevé :
Analyse des discours au sujet de l’économie verte et la main-d’œuvre au Canada
Au cours des cinq dernières années, pour répondre à la crise du climat et faire la transition vers une économique verte, le Canada a mis en place une stratégie qui vise à réduire les émissions de GES de 40 à 45 % par rapport au niveau de 2005 d’ici 2030 et à atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
Sans surprise, notre analyse de contenu sur Twitter révèle que l’économie verte est une préoccupation et une priorité importante pour les Canadiens et Canadiennes.
Les discussions engagées sur Twitter témoignent d’une prise de conscience grandissante de l’urgence de lutter contre le changement climatique et d’opérer une transition vers un avenir durable, ainsi que des inquiétudes suscitées par les pertes d’emplois potentielles.
Certaines personnes expriment un soutien indéfectible à l’économie verte et soulignent l’importance d’une action urgente pour lutter contre le changement climatique et préserver l’environnement. Elles mettent de l’avant les retombées positives potentielles telles que la création d’emplois, l’innovation et l’amélioration de la qualité de vie, ainsi que l’urgence d’investir dans les énergies renouvelables, les technologies durables et les pratiques respectueuses de l’environnement afin de favoriser un avenir plus écologique.
« Pour faire avancer la lutte pour la justice environnementale, raciale et économique, nous devons investir dans une économie verte qui crée des emplois bien rémunérés et garantit un air pur pour tous. »
« L’économie verte est non seulement bonne pour la planète, mais elle est aussi source de débouchés économiques incroyables. En adoptant les énergies renouvelables et des pratiques durables, nous pouvons favoriser l’innovation, stimuler la création d’emploi et ouvrir la voie à un Canada plus vert et plus prospère. »
En revanche, 26 % des publications que nous avons analysées expriment des sentiments négatifs. De nombreuses personnes au Canada envisagent le passage à une économie verte avec prudence et scepticisme et soulèvent leurs inquiétudes en ce qui concerne les répercussions économiques, les pertes d’emplois potentielles dans des secteurs donnés et les coûts associés à la transition vers une économie à faible émission de carbone et écoefficace. Ces personnes appellent à une planification minutieuse, afin d’assurer une transition juste qui tienne compte de l’impact sur les travailleurs et travailleuses et les communautés touchées par ces changements :
« Le mouvement vers une économie verte pourrait nous coûter cher. Des millions d’emplois sont susceptibles d’être supprimés dans des secteurs comme l’extraction et le raffinage du pétrole. Nous devons trouver un équilibre entre les préoccupations environnementales et la protection des moyens de subsistance. »
« Les emplois verts ne sont peut-être pas aussi durables qu’ils le paraissent. Lorsque les subventions gouvernementales diminueront, ces emplois risquent de disparaître. Nous devons prendre en compte la viabilité à long terme des initiatives vertes. »
Cette analyse des opinions des utilisateurs et utilisatrices de Twitter au Canada sur l’économie verte et le marché du travail nous a permis de constater ce qui suit :
Ce que nous avons appris et ce qui nous attend
Par l’analyse qualitative des sentiments et du contenu, nous avons examiné ce que les Canadiens et Canadiennes considèrent comme étant les questions les plus importantes du moment en ce qui a trait au travail.
Nous avons relevé trois sujets prédominants sur Twitter : les salaires et l’inflation, l’IA dans le monde du travail et la transition vers une économie verte.
Examiner les sentiments communs à l’égard de ces questions permet d’obtenir des informations précieuses sur les préoccupations actuelles, de mieux comprendre les divers points de vue et de connaître les priorités des gens en ce qui concerne les enjeux du travail au Canada.
Cette analyse a en outre permis de constater le manque d’accès à certains types d’information sur le marché du travail (IMT).
Les Canadiens et Canadiennes pourraient tirer parti d’une information plus complète et plus accessible sur les salaires, l’inflation, l’impact de l’IA sur le marché du travail, ainsi que sur les possibilités et les défis que présente le passage à l’économie verte. L’IMT peut jouer un rôle déterminant en apportant la clarté dont les gens ont besoin pour faire face à ces enjeux complexes. En tant qu’organisation engagée à améliorer l’accessibilité de l’IMT, le CIMT entend continuer à favoriser le dialogue et la collaboration autour des questions les plus importantes pour les Canadiens et Canadiennes.
Notes
1 Heron, Craig et Steven Penfold. The Workers' Festival: A History of Labour Day in Canada. University of Toronto Press, 2005.
2 Reveilhac, M., Steinmetz, S., & Morselli, D. (2022). A systematic literature review of how and whether social media data can complement traditional survey data to study public opinion. Multimedia Tools and Applications, 81(7), 10107-10142.
3 Il est important de noter que les publications politiquement diffamatoires ont été exclues afin d’analyser uniquement les discussions de fond liées au sujet. Cette décision a été prise afin de préserver l’intégrité et la pertinence des résultats présentés.
Suzanne Spiteri
Responsable de la recherche
Suzanne Spiteri est sociologue et possède plusieurs années d’expérience dans l’analyse qualitative des données ainsi que dans les méthodes d’analyse mixtes. Elle dirige les projets portant sur le resserrement du marché du travail et la situation professionnelle des groupes sous-représentés.