Les écarts de rémunération homme-femme selon les niveaux de revenus : encore du chemin à parcourir
Le CIMT au RCCDR
J’ai récemment eu l’occasion de présenter le travail du CIMT à la Conférence nationale du Réseau canadien des Centres de données de recherche (RCCDR), à Halifax (Nouvelle-Écosse). Lors de cette conférence, des chercheurs et organismes gouvernementaux se sont rassemblés pour discuter la manière dont les microdonnées disponibles dans les centres de données de recherche de Statistique Canada peuvent être utilisées pour créer des études novatrices.
J’ai présenté les recherches que mes collègues Young Jung, Elba Gomez et moi-même avons effectuées sur les écarts de rémunération pour différents niveaux de revenus entre les hommes et les femmes possédant un diplôme d’études postsecondaires. J’ai parlé des constatations préliminaires de ce projet, intitulé Earnings Differentials across Earnings Quantiles: Evidence from the linked PSIS-T1FF through the ELMLP (en anglais seulement), dans lequel on utilise un modèle de régression quantile pour comparer les écarts de rémunération entre les sexes tout en contrôlant certaines variables démographiques clés.
On a comblé le fossé éducatif entre les sexes, mais pas le fossé salarial
C’est un fait bien documenté : nous avons été en mesure de combler l’écart de diplomation entre les sexes au Canada. En 2018, 66 % de la main-d’œuvre canadienne, dont environ la moitié était des femmes, avait suivi un programme d’éducation postsecondaire (EPS). De plus, la plupart des diplômés postsecondaires étaient employés à temps plein. Cependant, le taux d’emploi à temps plein est beaucoup plus élevé chez les hommes (91 %) que chez les femmes (79 %).
Malgré cette amélioration, des différences significatives entre hommes et femmes subsistent, et elles varient selon les revenus. Par exemple, Boudarbat et Connolly (2013) ont démontré qu’au cours des dernières années, les disparités salariales entre les sexes ont diminué dans la moitié inférieure de la distribution des revenus, alors qu’elles ont augmenté dans la moitié supérieure. Fortin (2019) a obtenu les mêmes résultats et postulé que la sous-représentation des femmes parmi les personnes à revenus élevés contribuait à ralentir le progrès en matière d’équité salariale.
Nous appuyant sur ces travaux, nous avons sollicité les données de la toute nouvelle Plateforme longitudinale entre l’éducation et le marché du travail (PLEMT). Cette base d’informations nous permet de lier des données du Système d’information sur les étudiants postsecondaires (SIEP) à des données fiscales du Fichier des familles T1 (FFT1). Comme je l’ai abordé dans le numéro 4 de Perspectives de l’IMT, faire le lien entre le SIEP et le FFT1 nous permet de suivre l’évolution des revenus des étudiants dans les années suivant l’obtention de leur diplôme, tout en contrôlant le domaine d’étude, l’âge et d’autres variables explicatives.
Constats préliminaires
Nos constats préliminaires confirment que les écarts de rémunération entre les sexes augmentent au cours des années suivant l’obtention du diplôme postsecondaire. De plus, les hauts salariés affichent des écarts de rémunération entre les sexes plus grands que les individus qui gagnent un revenu médian.
Nous avons divisé la distribution des personnes au sein de la base de données à revenus en cinq quantiles selon les revenus – les 10e, 25e, 50e (médian), 75e et 90e percentiles – et comparé les résultats entre les niveaux de revenus et d’EPS (voir la figure 2). Nos régressions démontrent que pour les diplômés d’EPS de tous les niveaux de revenus et tous les niveaux d’éducation postsecondaire, l’écart salarial entre les sexes augmente dans les cinq premières années suivant l’obtention du diplôme. Nous constatons également que l’écart de rémunération entre les sexes s’est grandement accru pour les diplômés possédant un baccalauréat ou un diplôme de cycle supérieur dans les niveaux de revenus inférieurs (10e et 25e quantiles) et dans les niveaux de revenus les plus élevés (90e quantile).
Ces augmentations considérables dans les écarts de rémunération entre hommes et femmes à revenus moindres pourraient s’expliquer par la plus grande présence de femmes à temps partiel à ce niveau salarial. Il est malheureusement difficile de le confirmer, puisque la PLEMT ne fournit pas le nombre d’heures ou de semaines travaillées. Néanmoins, d’autres sources laissent fortement entendre que les femmes sont beaucoup plus susceptibles de travailler à temps partiel.
Étant donné que les travailleurs à temps partiel gagnent habituellement moins durant l’année que leurs collègues à temps plein, il va de soi qu’une bien plus grande part de travailleurs à temps partiel se trouve fort probablement à l’extrémité la plus basse de la courbe de distribution des salaires. Inversement, à l’extrémité la plus élevée, les différences entre les sexes ne peuvent s’expliquer facilement par les différences entre le nombre moyen d’heures ou de semaines travaillées par les hommes et les femmes, puisque la plupart sont à temps plein.
La suite des choses
Notre approche par régression quantile contribue à isoler des variables non observables, comme les heures travaillées et le statut temps plein/temps partiel. Pour faire progresser davantage ce travail, nous planifions limiter notre échantillon pour restreindre le nombre de travailleurs à temps partiel, afin d’obtenir une comparaison plus directe entre les revenus des travailleurs à temps plein. Pour y parvenir, nous explorons différentes données et techniques économétriques, et nous nous empresserons de partager les méthodes que nous trouvons les plus utiles. Nous sommes aussi très enthousiastes à l’idée de faire de nouveaux liens avec la PLEMT qui pourraient nous aider à combler ses lacunes actuelles (voir Perspectives de l’IMT no 18, Plateforme longitudinale entre l’éducation et le marché du travail 2.0 : Potentiel exponentiel).
Cette recherche entre dans le cadre d’un projet plus vaste entrepris par le CIMT et intitulé « Combien ont-ils gagné? ». Cette recherche a pour but de fournir à tous les intervenants EPS – étudiants, parents, institutions, responsables de l’élaboration des politiques, chercheurs et la population canadienne en général – une information nouvelle sur les revenus qui les aidera à prendre les décisions les mieux éclairées possible. Dans le cadre du projet de recherche en général, nous étudierons plus longuement les écarts de rémunération entre les sexes dans 11 domaines d’études (regroupements principaux) et sanctions d’études, ainsi que les écarts de rémunération des étudiants canadiens et internationaux. Soyez à l’affût au fur et à mesure que de nouvelles recherches et constatations seront disponibles.
Behnoush Amery est économiste principal au CIMT. Ses travaux portent sur l’information sur le marché du travail notamment l’étude de l’avenir du travail, la relation entre l’éducation et les résultats sur le marché du travail, ainsi sur l’estimation des données granulaires sur le travail.