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Pour tirer au clair les données sur les postes vacants

Alors que le taux de chômage descend à des creux historiques (5,5 % en juin 2019), la conversation sur les pénuries de main-d’œuvre et les déficits de compétences est passée à l’avant-plan. Comme l’a noté mon collègue Anthony, c’est un grand défi que de trouver le bon indicateur ou la bonne combinaison d’indicateurs pour cerner et surveiller les pénuries de main-d’œuvre, les déficits de compétences et les inadéquations de compétences.

En plus de l’incontournable taux de chômage, les postes vacants sont couramment utilisés et repris par les observateurs du marché, les décideurs et les médias. Les emplois vacants mettent en lumière la demande de main-d’œuvre non comblée, puisqu’ils correspondent au nombre de travailleurs que les employeurs cherchent à recruter. Lorsqu’on les ajoute au niveau d’emploi, c’est-à-dire la demande de travail comblée, on obtient la demande de travail totale (la somme des personnes occupées et de la demande de travail non comblée, soit les postes vacants).

Une lacune de longue date

Bien qu’il s’agisse théoriquement d’un excellent indicateur des pénuries, le véritable nombre de postes vacants est difficile à évaluer précisément. De nombreuses approches ont été mises à l’essai et en pratique au Canada.

Jusqu’au début des années 2010, les Canadiens se servaient surtout de sources de données privées, comme l’enquête les perspectives de votre entreprise, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), pour observer les postes vacants. De 1962 à 2003, Statistique Canada a aussi publié l’Enquête sur l’indice de l’offre d’emploi, une estimation des postes vacants basée sur les offres d’emploi publiées dans 22 journaux de régions métropolitaines. Ces sources n’étaient pas statistiquement représentatives de l’économie canadienne et manquaient de perspectives locales (estimations provinciales seulement) et de granularité (aucune information sur les professions). Faisant écho aux préoccupations des employeurs et des décideurs, le rapport final du Comité consultatif sur le marché du travail en 2009 préconisait la réalisation d’une enquête nationale sur les postes vacants.

En 2011, l’Enquête sur l’emploi, la rémunération et les heures de travail (EERH) a été élargie pour inclure le programme des Statistiques sur les postes vacants (SPV), qui offre un portrait mensuel du niveau de postes vacants par province et par industrie. Il s’agissait là de la première enquête officielle portant sur les statistiques sur les postes vacants au Canada, mais des lacunes subsistaient. Encore une fois, les utilisateurs de données ont dû se passer de perspectives locales et granulaires, puisque l’enquête n’était pas conçue pour fournir de l’information sur les professions ou les régions au sein des provinces. Pour recueillir l’information nécessaire au niveau infraprovincial, plusieurs provinces ont mis en œuvre leur propre enquête auprès des employeurs, dont l’Alberta, la (de 2002 à 2013) et le Québec.

De plus, les estimations de l’EERH ont été critiquées pour avoir sous-estimé le volume de postes inoccupés dans l’économie. En conséquence, les utilisateurs ont continué de se baser (en anglais uniquement) sur des estimations privées et internes, ce qui a semé la confusion dans le débat déjà animé sur les pénuries de main-d’œuvre.

En réaction à cela, Statistique Canada a collaboré avec Emploi et Développement social Canada (EDSC) pour lancer l’Enquête sur les postes vacants et les salaires (EPVS) en 2015. L’EPVS fournit des estimations trimestrielles sur le nombre de postes vacants et les taux d’inoccupation des postes par région économique et selon les catégories détaillées de la Classification nationale des professions (CNP). Conséquemment, les Statistiques sur les postes vacants recueillies dans le cadre de l’EERH sont appelées à être éliminées d’ici la fin de 2019.

L’EPVS est maintenant reconnue comme la principale source de données pancanadiennes sur les postes vacants, et deviendra bientôt la seule source d’estimation des postes vacants produite par Statistique Canada.

Des estimations différentes

Comme nous l’avons mentionné, les postes vacants sont reconnus comme étant difficiles à mesurer avec précision, ce qui peut soulever des problèmes sur le plan de la comparabilité. Nous comparons ici les estimations de postes vacants pour les trois enquêtes pancanadiennes, soit celle de la FCEI, l’EERH et l’EPVS. Chacune d’entre elles produit des estimations très différentes des postes vacants. Toutefois, les divergences entre les trois sont relativement constantes au fil du temps : l’EPVS estime systématiquement les plus hauts niveaux de postes vacants, soit entre 25 % et 40 % de plus que l’estimation du FCEI et presque le double des niveaux estimés par l’EERH. Cette constance laisse entendre que ces écarts sont attribuables aux différences méthodologiques entre les enquêtes.

Figure 1 : Des estimations de postes vacants plus élevées avec l’EPVS et la FCEI qu’avec l’EERH
Estimations de postes vacants de l’EERH1, l’EPVC et la FCEI pour 2015 T2 à 2019 T1

Note: Puisque l’EERH est un outil mensuel, c’est la moyenne des estimations mensuelles des postes vacants pour le trimestre qui est présentée ici.

 

Sans surprise, chaque enquête adopte une approche différente sur deux aspects importants : (a) la définition de la vacance et (b) le profil des répondants. Le tableau 1 présente un résumé de ces différences.

Le tableau 1 présente un résumé de ces différences.

table1 pour tirer

La bonne source

Les données sur les postes vacants peuvent être utilisées à toutes sortes de fins, mais comment choisir le bon indicateur? Et comment bien rendre compte de ces conditions du marché du travail?

Lors de la conception d’un outil de collecte de données, on doit tenir compte de l’équilibre entre la fiabilité, l’actualité, la granularité et la localité de chaque indicateur. En d’autres mots, chaque enquête aura ses propres limites, comme la taille de l’échantillon ou la conception du questionnaire. Il est important de garder en tête que chaque source est conçue pour répondre à un objectif précis. Ainsi, le choix de la source de données dépend en fin de compte des caractéristiques qui sont les plus importantes pour vous et votre recherche.

Dans un premier temps, il est essentiel d’examiner l’indicateur principal que l’enquête a été pensée pour recueillir. Par exemple, le principal objectif de l’EERH est d’illustrer l’évolution des postes vacants au fil du temps. Inversement, l’EPVS est conçue pour saisir avec précision le nombre de postes vacants au cours de chaque trimestre. Finalement, les sondages provinciaux visent principalement à caractériser les postes vacants parmi les professions et les régions infraprovinciales.

table 2 pour tirer

*Note : L’échantillon de l’EPVS a été conçu pour être représentatif des 76 régions économiques (RE) de la Classification géographique type (CGT). Pour la publication, sept plus petites régions sont combinées afin de produire de meilleures estimations, et des estimations sont publiées pour 69 régions.

 

Pour la suite des choses

L’Enquête sur l’indice de l’offre d’emploi de Statistique Canada a pris fin parce que l’information collectée dans les journaux n’était plus pertinente depuis l’utilisation accrue des offres d’emploi en ligne. Mais l’idée de se servir des offres d’emploi comme substituts aux postes vacants n’a pas été abandonnée. En effet, il existe maintenant une grande richesse de données sur les offres d’emploi disponibles sur les sites publics.

L’extraction, le nettoyage et l’analyse d’offres d’emploi au moyen de techniques d’apprentissage machine et d’exploration de données ont ouvert la porte à une vaste gamme de nouveaux produits de données et d’idées. Au CIMT, nous examinons ces nouvelles sources d’information et cernons les possibilités d’analyse et les limites des données afin de mieux comprendre le marché du travail canadien. Dans cette perspective, nous avons récemment établi un partenariat avec Vicinity Jobs pour accéder à une base de données unique d’offres d’emploi en temps réel et de partout au Canada. Puisqu’elles sont très localisées et actuelles, les données moissonnées des offres d’emploi nous permettront de partager des idées pratiques avec les éducateurs, les décideurs, les chercheurs et le grand public canadien. Restez à l’affût!

Emna Braham

Emna Braham est économiste principale au CIMT. Elle travaille actuellement à évaluer l’état de l’information sur le marché du travail au Canada et mène des recherches prospectives en collaboration avec les intervenants.

emna.braham@lmic-cimt.ca

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