Principales constatations
- Le manque de données locales et granulaires sur l’IMT
- Les techniques de collecte d’IMT les plus fréquemment utilisées sont ancrées dans des méthodes traditionnelles, au détriment de l’innovation
- Il n’existe pas de méthodologie commune acceptée pour la projection des compétences futures
- Les données d’IMT sont souvent inaccessibles, peu fiables ou non pertinentes pour les besoins des intervenants
- La plupart des outils actuels d’IMT ne répondent pas aux besoins des utilisateurs finaux;
- L’incidence globale des outils d’IMT ne fait pas l’objet d’un suivi
- Nous manquons de données qui représentent la diversité des groupes de population
- Le secteur privé innove, mais ses données sont difficiles à valider
- Collaborer pour combler les lacunes dans la production d’IMT
- Donner la priorité à l’innovation dans le domaine d’IMT
- Élaborer, appuyer, adopter et défendre les pratiques exemplaires et les principes
- Promouvoir le libre accès aux données et aux outils
- Élaborer des cadres d’évaluation des répercussions d’IMT
- Réunir l’écosystème d’IMT
Table des matières
Introduction
Le CIMT est une jeune organisation, qui en est actuellement à sa quatrième année d’activité. Avec le lancement en 2021 de son plan stratégique quinquennal, l’un de ses objectifs ou de ses buts est d’ajouter de la valeur à l’écosystème complexe de l’information sur le marché du travail (IMT) du Canada pour s’assurer qu’il répond aux besoins de la population canadienne.
Le rapport vise à donner un aperçu de la composition de l’écosystème pancanadien actuel d’IMT. Plus précisément, il met en lumière les lacunes et les défis du système existant et cerne les occasions où le CIMT et d’autres intervenants peuvent jouer un rôle de premier plan dans l’IMT canadienne, créant ainsi une feuille de route collective pour l’avenir.
En mettant en lumière les défis et les possibilités du contexte d’IMT au Canada, cette analyse permettra de formuler des recommandations sur la façon d’améliorer l’écosystème d’IMT et, ce faisant, d’orienter le travail du CIMT et celui d’organisations comme la nôtre.
Ce rapport est le premier d’une série qui brossera le portrait de l’écosystème pancanadien d’IMT. Le CIMT poursuivra ses travaux d’évaluation de l’écosystème actuel, tout en s’appuyant sur la présente analyse pour articuler les rapports à venir, lesquels aborderont différents thèmes, tels que le rôle et les méthodes des principaux intervenants et les initiatives internationales qui font progresser l’IMT.
Aperçu du contexte canadien d’IMT
Le contexte pancanadien d’IMT est un système complexe composé d’intervenants des secteurs public, privé et sans but lucratif.
Certains intervenants ont des missions axées uniquement sur l’IMT, tandis que d’autres considèrent l’IMT comme un complément à leurs objectifs et activités de base. Tous ont des mandats et des missions uniques qui les amènent à établir des objectifs différents et, en fin de compte, à créer une variété d’IMT en fonction de leurs publics cibles.
En respectant la diversité et les nuances de ce système, nous avons tenté de le documenter en analysant les parties prenantes à partir de quelques thèmes centraux, dont les suivants :
- Qui produit l’IMT?
- Quels types d’IMT sont produits dans l’écosystème pancanadien? Quels sont les publics cibles?
- Quelles méthodes et sources de collecte de données sont utilisées pour produire l’IMT?
- Quels sont certains des défis auxquels font face les organisations en matière de collecte, de production et de partage d’IMT?
Statistique Canada est la source de la plupart des données d’IMT utilisée dans les outils et les produits du marché du travail au Canada.
Chef de file mondial dans la fourniture de données de grande qualité, Statistique Canada établit et tient à jour des trousses de données qui se caractérisent par la transparence, la pertinence, la fiabilité et l’accessibilité. Pour en savoir plus, consultez la Trousse de la qualité des données de Statistique Canada.
La plupart des intervenants, qu’ils produisent ou non des données primaires d’IMT, utilisent les données de Statistique Canada pour analyser et créer des outils et des produits d’IMT qui sont, à leur tour, utilisés par divers publics – y compris les étudiants, les décideurs, les chercheurs d’emploi, les professionnels des ressources humaines et les employeurs.
Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux contribuent grandement à la production et au partage d’IMT.
Bien que leurs besoins varient, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux s’efforcent tous de produire une IMT qu’ils peuvent utiliser à l’interne (pour prendre des décisions en matière de financement, de politiques et de programmes et pour améliorer les résultats de leur main-d’œuvre locale) et à l’externe (pour aider les individus à prendre des décisions éclairées concernant leurs objectifs en matière d’éducation, de formation et de carrière).
Les trois ordres de gouvernement conçoivent des produits importants qui permettent à la population canadienne d’explorer et de mieux comprendre le marché du travail. Il s’agit notamment de ressources en ligne comme le Guichet emplois, des perspectives professionnelles, des mises à jour et des rapports sur le marché du travail, ainsi qu’une gamme d’enquêtes qui donnent un aperçu des résultats et des tendances du marché du travail.
Les organismes sans but lucratif au Canada recueillent souvent leur propre IMT primaire et la complètent avec des données provenant de sources externes.
Au sein du secteur sans but lucratif, certains organismes intègrent l’IMT à leur mission et à leurs activités principales, tandis que d’autres l’utilisent pour soutenir des projets et des initiatives – par exemple, ceux liés à l’immigration, à l’innovation, au perfectionnement de la main-d’œuvre et à d’autres enjeux stratégiques.
Les organismes sans but lucratif ont de plus en plus besoin d’accéder aux données et aux idées sur l’IMT, de les compiler, de les analyser et de les générer pour mieux comprendre ces sujets et élaborer des programmes adaptés.
Les conseils et les associations sectoriels produisent et partagent de l’IMT liée à leurs membres, principalement les employeurs du secteur privé.
Au Canada, il y a plus de 50 associations et conseils qui cherchent à faire progresser leur secteur en comprenant les besoins en matière d’emploi, en stimulant la croissance et la rentabilité, en attirant et en retenant les talents et en déterminant les nouvelles aptitudes ou compétences requises pour maintenir une main-d’œuvre concurrentielle.
Pour atteindre ces objectifs, bon nombre d’entre eux ont développé une capacité interne de collecte, d’analyse et de production d’IMT. D’autres ont choisi de sous-traiter le travail lié à l’IMT ou d’utiliser une combinaison de solutions interne et externe.
Les entreprises du secteur privé produisent de plus en plus d’IMT et fournissent des services liés à l’IMT.
Les entreprises du secteur privé sont relativement nouvelles dans le contexte d’IMT au Canada et produisent de plus en plus d’IMT en temps réel en dépouillant les sites Web pour y trouver des affichages de postes et des données sur les curriculum vitae, tout en utilisant des techniques avancées pour obtenir des renseignements à jour et pertinents sur les tendances de la main-d’œuvre à différents niveaux de granularité. L’IMT en temps réel peut comprendre les tendances de l’offre et de la demande, de l’information sur les professions émergentes, les exigences actuelles et nouvelles en ce qui concerne les compétences, ainsi que la demande du marché en matière d’éducation et de certification.
Bon nombre de ces entreprises du secteur privé ont mis au point des algorithmes et peuvent tirer parti de technologies comme l’apprentissage machine, ce qui leur permet de recueillir de l’information sur Internet et de fournir des renseignements sur l’offre et la demande sur le marché du travail (notamment en ce qui concerne les compétences) et de faire des projections sur différents aspects du marché du travail.
Certaines de ces entreprises produisent également des ressources, des outils et des services d’IMT que d’autres intervenants achètent pour prendre des décisions stratégiques et commerciales importantes et pour compléter ou augmenter leur IMT interne.
Défis dans l’écosystème d’IMT au Canada
Les problèmes recensés sont systémiques et ne peuvent être résolus par une seule organisation ou un seul groupe d’intervenants. Ils sont dus à des processus, à des méthodologies et à des approches qui sont inhérents au système. Les intervenants sont confrontés à de nombreux défis lorsqu’ils tentent de recueillir des données et d’élaborer des produits d’IMT.
Voici les principaux défis recensés qui, s’ils sont résolus, pourraient transformer l’écosystème pancanadien d’IMT.
Défi 1 : Manque de données locales et granulaires sur l’IMT
Les producteurs d’IMT cherchent des moyens d’acquérir des données locales et granulaires1 qui décrivent mieux les réalités des différents marchés du travail.
Au Canada, ces types de données ne sont pas accessibles au public, sont difficiles d’accès ou n’existent tout simplement pas.2
Une partie du défi réside dans les méthodes traditionnelles de collecte de la plupart des données, comme les enquêtes. Des facteurs comme le coût, la taille et la couverture de l’échantillon, le temps nécessaire à la collecte de données et les taux de réponse peuvent tous influer sur le caractère local, la granularité et l’actualité des données.
Il en résulte souvent un manque d’information détaillée pour les régions dont la population et les industries sont plus petites. Étant donné qu’une grande partie des données utilisées par les intervenants sont recueillies par Statistique Canada, qui doit respecter des normes strictes en matière de protection des renseignements personnels, les données accessibles au public sont regroupées à un niveau que de nombreuses organisations ne trouvent pas utile.
Lorsque des données désagrégées existent, elles peuvent être difficiles d’accès. Statistique Canada impose des restrictions à ses centres de données de recherche et à d’autres canaux de données. Les données désagrégées recueillies par le secteur privé ne sont généralement pas disponibles en raison des politiques de propriété intellectuelle des entreprises.
Il en résulte qu’il est difficile, et parfois impossible, de recueillir de l’IMT de qualité sur certaines régions et industries, ou spécifique à certaines professions, formations et études.
Cela a une incidence sur le type de données utilisées pour prendre des décisions importantes qui influent sur les politiques, les programmes, le financement et les cheminements de carrière.
Ces obstacles à l’obtention de données locales et granulaires limitent les types d’outils et de services d’IMT qui peuvent être développés. Par exemple, il est difficile de prévoir la demande de talents dans les régions moins peuplées si l’on ne dispose pas d’information sur les types d’emplois dans ces régions. De façon critique, les limites des données nuisent à la capacité de répondre à des questions importantes sur les pénuries de main-d’œuvre et de compétences au Canada à l’échelle locale et professionnelle.
Défi 2 : Les techniques de collecte d’IMT les plus utilisées sont ancrées dans les méthodes traditionnelles, au détriment de l’innovation
Les enquêtes sont depuis longtemps la méthode traditionnelle de collecte des données d’IMT. Les organismes statistiques recourent souvent à cette méthode parce qu’elle a fait ses preuves depuis des décennies; des équipes d’experts se consacrent à la conception, à la réalisation et à l’analyse de ces outils de recherche.
Les ressources et les mécanismes qui sous-tendent de nombreuses enquêtes permettent d’assurer la rapidité d’exécution et une bonne représentation globale; ils peuvent atténuer les biais et offrir une vaste gamme d’indicateurs qui appuient la planification et les politiques socioéconomiques.
Toutefois, les taux de non-réponse constituent une préoccupation importante dans la méthodologie des enquêtes. Les taux de non-réponse aux enquêtes auprès des ménages sont en hausse depuis le milieu et la fin des années 1990. La pandémie de COVID-19 a perturbé davantage cette situation en entravant les activités de collecte de données des organismes de statistique, ce qui a entraîné des taux de réponse exceptionnellement faibles dans de nombreux pays. Les taux de réponse à l’Enquête sur la population active, l’une des principales sources d’IMT au Canada, sont passés de 88 % en février 2020 à un creux historique de 72 % en juin 2020.3 Les taux de réponse ont commencé à se redresser, mais le niveau de non-réponse demeure supérieur à ceux d’avant la pandémie.
De plus, les préoccupations quant aux coûts, à la représentation exacte de la population, au temps qu’il faut pour mener une enquête, analyser les résultats et en tirer des conclusions, à la volonté des répondants de participer et aux préjugés potentiels des répondants et de ceux qui mènent les enquêtes sont tous des facteurs dont il faut tenir compte au moment de choisir la méthode de recherche et de collecte de données.
La nature du travail évolue rapidement en raison de facteurs technologiques, sociaux, environnementaux et autres. Pour suivre le rythme, de nouvelles techniques de collecte d’IMT sont constamment mises au point.
Les technologies de moissonnage du Web et d’intelligence artificielle (IA) comptent parmi les avancées les plus prometteuses dans ce domaine. Cependant, de nombreux intervenants s’inquiètent de la qualité de ces nouvelles méthodologies, si bien que ces dernières sont principalement adoptées par des organisations du secteur privé.
Les organisations qui recueillent des données d’IMT au Canada ont tendance à s’en tenir aux méthodes traditionnelles, c’est-à-dire que le secteur s’appuie sur des enquêtes et, dans une certaine mesure, sur des données administratives. Par conséquent, même si le secteur privé est à l’avant-garde et innove dans ce domaine, de nombreux autres organismes et groupes d’intervenants sont laissés pour compte.
Défi 3 : Il n’existe pas de méthodologie communément acceptée pour prévoir des compétences futures
Les organisations et les gouvernements ont besoin de données sur les compétences futures pour pouvoir élaborer des programmes d’éducation et de formation qui correspondent aux qualifications et aux compétences qui mèneront à des carrières fructueuses et à une économie concurrentielle.
Bon nombre des intervenants signalent un besoin croissant de données qui permettent aux organisations de prévoir les besoins futurs en matière de compétences.
Les Canadiens et les Canadiennes qui recherchent l’IMT expriment également le besoin de données sur les compétences futures. D’après les enquêtes menées par le CIMT, environ le quart (24 %) de la population canadienne estime que l’IMT disponible ne permet pas d’avoir un aperçu de l’avenir. Les répondants ont indiqué que l’information sur les compétences est l’un de leurs principaux besoins.4
Cette lacune dans la diffusion d’IMT relative aux compétences futures existe, en partie, parce que la prévision des compétences est une tâche difficile.
L’élaboration de prévisions sur les compétences futures se fait généralement en reliant les compétences aux prévisions d’emploi et en déterminant quelles compétences sont associées aux professions en demande. Toutefois, il est difficile de prévoir l’emploi. Ce type d’analyse économique nécessite plusieurs hypothèses qui peuvent mener à des projections contestables. La difficulté de relier l’information sur les compétences à ce processus déjà complexe et d’en tirer des conclusions utiles est aggravée par l’absence d’information à jour sur les compétences et la rareté des méthodes de prévision des compétences.
Bien qu’il n’existe actuellement aucune approche établie pour la prévision de l’information sur les compétences, les intervenants de l’écosystème d’IMT sont conscients de ces défis et travaillent à les relever. Un document récent du CIMT et du Centre des Compétences futures explore les approches disponibles pour déterminer les compétences de l’avenir.5 Emploi et Développement social Canada explore actuellement l’une de ces approches en mettant sur pied un Système d’information sur les professions et les compétences (SIPeC) afin de fournir un cadre pour le contexte canadien, ce qui se traduira par l’élaboration et la validation de profils pour près de 900 professions.6
Bien que des initiatives comme celles-ci soient précieuses, le défi demeure qu’il n’existe actuellement aucune norme commune pour déterminer ou mesurer l’IMT liée aux compétences.
Défi 4 : Les données d’IMT sont souvent inaccessibles, peu fiables ou non pertinentes pour répondre aux besoins des intervenants
L’accessibilité et la clarté des données et des méthodologies constituent un défi constant dans l’écosystème canadien d’IMT.
Notre analyse révèle que, dans la majorité des publications, outils et plateformes d’IMT, les sources ne sont souvent pas citées correctement, les méthodologies ne sont pas claires ou ne sont pas documentées, les données sont souvent partagées dans des formats PDF qui ne sont pas lisibles par machine et les ensembles de données sont séparés des outils d’IMT.
Cela signifie que les données ne peuvent pas être référencées ou suivies après la publication, que les intervenants ne peuvent pas valider ou examiner les résultats par les pairs et que les données sont difficiles ou impossibles à utiliser. Au bout du compte, ces pratiques réduisent la capacité de l’ensemble de l’écosystème canadien d’IMT d’accéder à de puissantes données qui pourraient servir à élaborer des projets et des outils liés au marché du travail et à éclairer les politiques publiques.
Ces problèmes engendrent un manque de confiance envers l’IMT du Canada et soulèvent des questions de fiabilité, de pertinence et d’accessibilité – toutes des composantes essentielles de la qualité des données. Si les données et les outils ne peuvent pas être correctement évalués ou validés, il est peu probable qu’on leur fasse confiance ou qu’on les utilise dans l’écosystème élargi d’IMT.
Défi 5 : La plupart des outils actuels d’IMT ne répondent pas aux besoins des utilisateurs finaux
Le format dans lequel l’IMT a toujours été présentée et diffusée ne correspond pas aux besoins des utilisateurs finaux et ne se prête généralement pas à la prise de décisions éclairées.7
Cette situation est principalement attribuable au fait que les outils d’IMT ont été conçus pour un vaste public plutôt que pour répondre à des besoins particuliers. Étant donné que les utilisateurs finaux ont des besoins et des objectifs divers, les produits conçus en fonction d’un vaste auditoire font souvent en sorte que les utilisateurs individuels sont incapables de prendre des décisions éclairées en utilisant l’IMT qui leur est présentée.
Cette déconnexion est largement reconnue dans l’écosystème d’IMT du Canada, et de nombreuses organisations cherchent de meilleures façons de rendre les outils conviviaux, ciblés et pertinents.
Comme les outils interactifs nécessitent une maintenance continue et, souvent, un niveau détaillé de granularité des données pour être utiles à une personne, il peut être difficile de justifier le coût de leur construction.
Investir dans de nouvelles techniques de collecte d’IMT qui tiennent compte du caractère local et de la granularité nécessite un investissement considérable et peut présenter une courbe d’apprentissage abrupte pour de nombreuses organisations. Cette situation a pour effet de décourager la conception des outils dont les utilisateurs ont le plus besoin.
Défi 6 : L’incidence globale des outils d’IMT ne fait pas l’objet de suivi
Comment savons-nous que les outils d’IMT au Canada répondent aux besoins des utilisateurs et des intervenants? L’écosystème canadien manque de mesures d’impact.
Notre analyse montre que la plupart des organisations limitent leur évaluation au nombre de fois qu’une page Web a été consultée. Très peu d’intervenants investissent dans des cadres efficaces d’évaluation et de gestion du rendement.
Cela signifie que l’impact des outils d’IMT – par exemple, les outils visant à aider les personnes à choisir un programme d’études postsecondaires ou à orienter la politique gouvernementale sur les programmes de perfectionnement des compétences – continue d’être difficile ou impossible à suivre.
Défi 7 : Nous manquons de données qui représentent la diversité des groupes de population
Il existe un besoin croissant et de longue date d’IMT et de données connexes pour divers groupes de population. Les intervenants soulignent un besoin particulier de données plus nombreuses et de meilleures qualités pour les peuples autochtones, les minorités visibles et les communautés LGBTQ2S+.
Ces besoins sont principalement fondés sur la nécessité de mieux comprendre les tendances en évolution du développement de la main-d’œuvre, d’évaluer la qualité des possibilités d’emploi et de fournir une analyse de l’équité.
Les domaines d’intérêt vont de l’amélioration des données démographiques et des indicateurs liés à l’emploi à l’amélioration des données sur le comportement des personnes au cours de leur carrière.
Ce besoin a été particulièrement important lors de la pandémie de COVID-19, qui a touché certains groupes démographiques beaucoup plus que d’autres. Malheureusement, en raison d’un manque de données, l’information plus détaillée sur la nature complète de ces impacts est limitée.
Pour combler certaines de ces lacunes, Statistique Canada a apporté des changements à l’Enquête sur la population active en juillet 2020.8 En demandant aux répondants à quel groupe de population ils s’identifient et en élaborant de nouvelles méthodes statistiques pour mieux comprendre les caractéristiques des groupes, Statistique Canada s’efforce de répondre au besoin de données supplémentaires sur les groupes de population.
Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais de nombreuses lacunes demeurent, et des efforts continus de Statistique Canada et d’autres sont essentiels.
Défi 8 : Le secteur privé innove, mais ses données sont difficiles à valider
La représentation du secteur privé dans le domaine de l’IMT a augmenté de façon spectaculaire au cours de la dernière décennie. Des organisations comme Vicinity Jobs, Emsi-Burning Glass, Gartner Talent Neuron et LinkedIn se sont joints à l’espace canadien d’IMT pour combler les lacunes et répondre aux besoins des utilisateurs.
Ces entreprises offrent une gamme de solutions qui comprennent des outils pour améliorer les processus de ressources humaines, comme les évaluations internes des compétences et les lacunes, les plans de formation et de perfectionnement et les efforts de recrutement.
Dans bien des cas, ces entreprises tirent parti de l’intelligence artificielle et des données exclusives pour régler des problèmes sociaux et économiques.
Par exemple, Emsi-Burning Glass a développé une base de données qui comprendrait plus d’un milliard d’offres d’emploi actuelles et passées et plus de 300 millions de CV.9 En utilisant l’intelligence artificielle pour recueillir et analyser les offres d’emploi, l’entreprise peut fournir des données en temps réel et des outils de planification qui permettent de se renseigner sur les carrières, définissent les programmes universitaires, développent des cheminements de carrière pour les demandeurs d’emploi et aident à façonner la main-d’œuvre.
Cependant, comme ces entreprises sont privées, les technologies qu’elles exploitent pour acquérir des données en temps réel sont difficiles à évaluer. De même, en raison de leur nature exclusive, les données ne sont pas facilement accessibles. La majeure partie de cette IMT se trouve derrière des verrous d’accès payants ou est offerte au moyen de produits et de plateformes exclusifs.
Les sources de données en temps réel dans le secteur privé sont souvent peu claires. Cela soulève des questions quant à la transparence et à la capacité de valider la représentativité, l’exactitude, le caractère local et la granularité de ces données.
De plus, bon nombre de ces entreprises s’appuient sur leur propre taxonomie des professions et des compétences. Bien que les taxonomies soient élaborées en tenant compte des normes de classification nationales et internationales, il n’est pas toujours possible de relier les données des entreprises privées aux normes officielles de catégorisation.
Recommandations concernant l’IMT au Canada
Malgré plusieurs défis persistants et émergents dans l’écosystème pancanadien d’IMT qui nuisent à la qualité globale, à l’accessibilité et à la disponibilité d’IMT, la sensibilisation à ces défis mène à des occasions d’améliorer l’IMT et nos pratiques collectives.
Les recommandations suivantes sont destinées à tous les intervenants qui recueillent, produisent et partagent de l’IMT au Canada, y compris le CIMT. Elles sont conçues comme des points d’action pour les organisations, les entreprises et le système dans son ensemble.
Recommandation 1 : Collaborer pour combler les lacunes dans la production d’IMT
Les défis les plus courants relevés dans la présente analyse correspondent aux lacunes en matière de données. L’ampleur du défi lié au besoin de données plus nombreuses, de meilleures qualités, granulaires, locales et en temps opportun, est trop importante pour qu’une organisation puisse le relever seule.
Cependant, tous les intervenants de l’écosystème d’IMT au Canada ont reconnu ces besoins. La reconnaissance est la première étape; la collaboration est la suivante. Les intervenants en IMT doivent collaborer et se coordonner afin de cerner, de prioriser et de combler les lacunes en matière d’IMT.
Des efforts doivent être déployés pour établir des partenariats qui exploitent toutes les capacités de l’écosystème pancanadien. Par exemple, le secteur public et les organismes sans but lucratif ont beaucoup à apprendre des entreprises du secteur privé qui innovent, et le secteur privé a beaucoup à gagner à collaborer avec d’autres intervenants en IMT au Canada pour valider leur travail et leurs efforts.
Recommandation 2 : Donner la priorité à l’innovation dans l’IMT
L’innovation est une réponse créative au changement. Les organisations peuvent innover en ajustant les processus existants, en adoptant de nouveaux processus et en générant de nouvelles idées.
Pour combler les lacunes dans le contexte canadien d’IMT, l’innovation doit inclure l’intégration des méthodes traditionnelles de collecte de données avec de nouvelles techniques qui permettent l’utilisation d’IMT en temps réel. La collaboration est essentielle dans ce domaine : continuer à fonctionner en vase clos nuira au transfert de technologie et à la capacité de recueillir les données nécessaires.
Les bailleurs de fonds et les décideurs doivent montrer la voie en adaptant leurs structures de financement afin de créer des incitatifs qui accordent la priorité à l’innovation comme activité souhaitable et utile. D’autres intervenants doivent proposer et privilégier les innovations avant-gardistes en matière de méthodologies, d’approches et de technologies, et préconiser un soutien et une approbation plus solides de ces innovations au sein de l’écosystème plus vaste.
Recommandation 3 : Élaborer, approuver, adopter et défendre les pratiques et principes exemplaires
L’écosystème d’IMT au Canada n’est pas réglementé, et il n’existe pas d’organe directeur chargé d’établir les pratiques et les principes exemplaires.
Cette situation offre toutefois des possibilités. Par exemple, cela signifie que les entreprises du secteur privé peuvent innover et développer des outils et de nouvelles approches. Elles sont libres d’ouvrir la voie en développant et en appliquant des techniques de pointe pour produire une IMT pertinente et nécessaire.
Mais cela signifie également que le secteur privé n’est pas incité à divulguer de l’information comme des sources de données ou des méthodologies qui pourraient aider à valider et à renforcer la confiance dans leur travail.
Les intervenants ont l’occasion de se réunir pour établir un ensemble de principes et de pratiques exemplaires quant aux méthodologies, aux produits de données, à l’ouverture et à la transparence d’une manière qui soutient l’innovation du secteur privé tout en respectant les garde-fous des politiques de propriété intellectuelle.
Il est important que les organismes financés par des fonds publics établissent et intègrent des pratiques et des principes exemplaires quant à la qualité et à la gestion des données qui peuvent être approuvés et adoptés par d’autres intervenants. Le respect de principes tels que la transparence des méthodologies et la traçabilité des données de la source à la destination permettrait d’attester de l’intégrité et de la fiabilité des produits. Parmi les organisations financées par des fonds publics, les principes de transparence et d’accès doivent être assujettis à des normes plus strictes, tout comme les méthodologies et la qualité des données.
L’éducation est une composante essentielle de l’adoption de pratiques exemplaires. Les intervenants ont un rôle important à jouer dans la sensibilisation des consommateurs d’IMT au sujet des tendances, de la qualité des données et des principes de gestion des données afin que, lorsqu’ils sont confrontés à de nouveaux produits ou à de nouvelles terminologies, ils puissent tirer leurs propres conclusions au sujet de la qualité et de la fiabilité.
L’appui, l’adoption et la promotion de pratiques exemplaires qui ont été élaborées et mises à l’essai par d’autres intervenants seront essentiels dans l’ensemble de l’écosystème d’IMT.
Recommandation 4 : Promouvoir le libre accès aux données et aux outils
Rendre les données et les outils plus largement accessibles est un premier pas important vers l’établissement d’une culture d’innovation au sein de l’écosystème canadien d’IMT. Tous les intervenants ont un rôle important à jouer dans la promotion et l’intégration du libre accès aux données et aux outils.
Les principes du libre accès aux données consistent généralement à s’assurer que les données sont complètes, granulaires, opportunes, accessibles, traitables par machine, non discriminatoires, non exclusives et sans licence.10
Nos consultations avec les intervenants ont fait ressortir un besoin particulier de rendre accessibles les données sur lesquelles reposent les outils et les plateformes d’IMT afin d’encourager la production de nouvelles idées, de stimuler l’innovation et de soutenir les intermédiaires d’IMT qui n’ont ni le temps ni la capacité de développer leurs propres outils.11
Ici, l’écosystème pancanadien d’IMT doit travailler à créer des solutions pour les organisations qui font partie intégrante de la diffusion d’une IMT de qualité à la population canadienne.
La création d’incitatifs pour encourager les producteurs d’IMT à élaborer des outils pour les intermédiaires d’IMT doit être un effort concerté. Une couche supplémentaire à cette solution consiste à créer des occasions pour les intermédiaires et les partenaires d’IMT de perfectionner davantage leurs compétences en IMT.
Dans cette optique, l’initiative du carrefour de données du CIMT est conçue pour séparer les données d’IMT de leur objectif et donner aux partenaires la capacité d’élaborer leurs propres outils et ressources axés sur les utilisateurs.12 En ouvrant les données au-delà de leur utilisation prévue sur une seule plateforme, des initiatives comme celle-ci permettront à une diversité d’intervenants de mener des analyses et de développer des outils.
Recommandation 5 : Élaborer des cadres d’évaluation de l’incidence de l’IMT
Il existe peu de données probantes sur les cadres d’évaluation de l’incidence de l’IMT et des outils d’IMT au Canada.
Tous les intervenants de l’écosystème d’IMT devraient intégrer à leur travail et à leurs activités le fait de comprendre comment atteindre un public cible et si cette atteinte a les effets escomptés.
Des stratégies et des mesures fondées sur un cadre commun sont nécessaires non seulement pour renforcer la confiance envers l’IMT et les intervenants dans l’écosystème, mais aussi pour démontrer la valeur de ces données et l’incidence socioéconomique de l’information et des outils.
Recommandation 6 : Réunir l’écosystème d’IMT
Dans le contexte pancanadien d’IMT, de nombreux intervenants innovent en matière de collecte et d’analyse des données, de conception d’outils, d’élaboration de pratiques exemplaires et d’évaluation. Ce sont tous des domaines importants qui doivent être affinés pour que les répercussions de l’IMT au Canada se fassent sentir.
Il y a actuellement un manque de coordination entre les organisations, les secteurs et les intervenants. Lors de nos consultations pancanadiennes, le désir de collaborer est souvent exprimé dans le but de partager de l’information, d’échanger des connaissances et d’apprendre des autres.
Au CIMT, nous considérons qu’il s’agit d’une bonne occasion de réunir l’écosystème d’IMT au Canada pour favoriser le dialogue et l’innovation.
La voie à suivre
Le monde du travail évolue rapidement. Cette réalité entraîne la nécessité de trouver des moyens de faire en sorte que les marchés du travail canadiens puissent s’adapter et réagir – en temps réel et à l’avenir.
Le Canada possède un écosystème d’IMT complexe composé de divers intervenants. Pour renforcer notre travail et notre rayonnement collectifs, nous devons relever des défis communs et bâtir un système efficace et cohésif pour une meilleure IMT. Ce travail se reflétera dans les politiques et les programmes de demain.
Il reste beaucoup de travail à faire, mais il y a aussi un grand intérêt de la part de tous les intervenants et de tous les secteurs à faire des progrès. Nous espérons que les défis et les recommandations documentés dans la présente analyse constitueront un point de départ à la collaboration et qu’ils serviront de fondement à de nouvelles initiatives fructueuses dans les années à venir.
Au CIMT, nous avons hâte de soutenir et de catalyser ce travail important pour améliorer l’IMT au Canada.
Portée et méthodologie
Remerciements
Le présent rapport de Perspectives d’IMT a été préparé par Lorena Camargo.
Nous tenons à remercier David Ticoll pour son temps et son soutien, ainsi que sa rétroaction et ses commentaires constructifs qui ont contribué à orienter ce travail.
Pour obtenir de plus amples renseignements sur ce rapport, veuillez communiquer avec Lorena Camargo, à lorena.camargo@lmic-cimt.ca, ou avec Tony Bonen, directeur de la recherche, des données et des analyses, à tony.bonen@lmic-cimt.ca.
Notes de fin d'ouvrage
1 La « localité » est définie comme le plus petit niveau géographique, tandis que la granularité désigne le nombre de catégories selon lesquelles les données sont organisées (p. ex. : CNP, âge, niveau de formation, le statut d’immigration, etc.). La définition des critères d’IMT se trouve dans un rapport du CIMT intitulé En quête du graal de l’IMT : des données locales, granulaires, fréquentes et actuelles. Voir le Rapport de perspectives de l’IMT no 15 (https://lmic-cimt.ca/fr/des-publications/rapport-de-perspectives-de-l-imt-no-15-en-quete-du-graal-de-l-imt-des-donnees-locales-granulaires-frequentes-et-actuelles/).
2 CIMT et Statistique Canada (2019). En quête du graal de l’IMT : des données locales, granulaires, fréquentes et actuelles. Voir le Rapport de perspectives de l’IMT no 15 (https://lmic-cimt.ca/fr/des-publications/rapport-de-perspectives-de-l-imt-no-15-en-quete-du-graal-de-l-imt-des-donnees-locales-granulaires-frequentes-et-actuelles/).
3 Brochu, Pierre (2021). A Researcher’s Guide to the Labour Force Survey. Canadian Public Policy. http://aix1.uottawa.ca/~pbrochu/Brochu_working%20paper.pdf. (en anglais seulement)
4 CIMT et étude d’opinion publique. (2020, Mars). Différences sociodémographiques dans les sources d’information sur le marché du travail, leur utilisation et les difficultés rencontrées. Rapport de perspectives de l’IMT no 28. https://lmic-cimt.ca/fr/des-publications/rapport-de-perspectives-de-limt-n-28-differences-sociodemographiques-dans-les-sources-dinformation-sur-le-marche-du-travail-leur-utilisation-et-les-difficultes-rencontrees/.
5 Bonen, T., N Loree, J. (2021). Comment prévoir les compétences recherchées : une introduction. Centre des Compétences futures. https://fsc-ccf.ca/fr/recherche/comment-prevoir-les-competences-recherchees-une-introduction/.
6 CIMT. (2021, Juin). Le SIPeC au cœur de la mise en correspondance des compétences et des professions. Perspectives de l’IMT, no. 43. https://lmic-cimt.ca/fr/des-publications/rapport-perspectives-imt-no43/.
7 CIMT. (2018, Septembre). Bilan des évaluations antérieures de l’information sur le marché du travail : Rapport de perspectives de l’IMT no 1. https://lmic-cimt.ca/fr/des-publications/rapport-de-perspectives-de-limt-n-1-bilan-des-evaluations-anterieures-de-linformation-sur-le-marche-du-travail/.
8 Statistique Canada, Enquête sur la population active. (2020). https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/200807/dq200807a-fra.htm.
9 Burning Glass Technologies. (2020). Seven Papers at Economics Conference Draw on Burning Glass Data. https://www.burning-glass.eu/en/seven-papers-at-economics-conference-draw-on-burning-glass-data/. (en anglais seulement)
10 Charte sur les données ouvertes. https://opendatacharter.net/principles-fr/.
11 Ces résultats de recherche seront partagés dans les travaux à venir sur la cartographie du système de développement de carrière au Canada.
12Centre des Compétences futures. (2020, 14 décembre). Un nouveau projet vise à doter les organismes de première ligne des outils et des connaissances nécessaires pour aider les Canadiennes et les Canadiens à orienter leurs choix de carrière [Communiqué de presse]. https://fsc-ccf.ca/fr/engage/le-centre-des-competences-futures-et-le-conseil-de-linformation-sur-le-marche-du-travail-annoncent-un-partenariat-de-3-millions-de-dollars-pour-la-creation-doutils-dorientation-professionnelle-de-prem/.
13Voici les études incluses :
- Comité consultatif sur l’information sur le marché du travail (CCIMT). (2009). Travailler ensemble pour bâtir un meilleur système d’information sur le marché du travail pour le Canada : rapport final. https://publications.gc.ca/site/archivee-archived.html?url=https://publications.gc.ca/collections/collection_2011/rhdcc-hrsdc/HS18-24-2009-fra.pdf;
- Drummond, D. (2014). Wanted: Good Canadian labour market information. IRPP Insight, No. 6. http://irpp.org/wp-content/uploads/2014/06/insight-no6.pdf. (en anglais seulement)
14 Compte tenu de la nature unique du système des conseils sectoriels sur l’IMT, nous avons jugé important d’obtenir une meilleure compréhension de la part d’un expert en la matière.