Conversations avec de jeunes Noirs : Réflexions sur le marché du travail canadien
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Février est le Mois de l’histoire des Noirs : une invitation à reconnaître, à célébrer et à saluer les grandes contributions des travailleurs de race noire à l’édification de l’économie, de la politique et des mouvements syndicaux du Canada.
Ce mois-ci, nous diffusons une série en trois parties sur le blogue du CIMT dans laquelle nous décrivons certains aspects de l’histoire des travailleurs canadiens de race noire, nous parlons à de jeunes Noirs de leurs perceptions des possibilités qui leur sont offertes sur le marché du travail, et nous examinons les réalités courantes du marché du travail pour les Canadiens de race noire en fonction des données disponibles.
Partie 2 : Conversations avec de jeunes Noirs : Réflexions sur le marché du travail canadien
L’histoire des travailleurs canadiens de race noire a conduit les jeunes Noirs d’aujourd’hui à appréhender leurs perspectives sur le marché du travail différemment de nombreux autres groupes.
Nous avons parlé avec de jeunes Noirs de partout au Canada afin de comprendre leurs perceptions et leurs expériences sur le marché du travail canadien. Au moyen d’un sondage en boule de neige permettant d’atteindre des jeunes dans l’ensemble du pays, nous avons mené des entretiens semi-structurés qui ont été conçus pour comprendre les perspectives et examiner les domaines les plus pertinents pour chaque participant.
Bon nombre des jeunes auxquels nous avons parlé ont mentionné les barrières raciales et la ségrégation des travailleurs d’autrefois au Canada.
Ainsi, Jamal, un artiste visuel de 24 ans de Toronto, en Ontario, dont les grands-parents ont immigré de Trinidad au Canada au début des années 1950, réfléchit à ses propres possibilités par rapport à ce qu’il comprend avoir été celles de ces grands-parents et de ses parents :
Mes grands-parents sont arrivés ici et ont dû se battre pour rester en vie. Ils ont dû travailler juste pour rester en vie et garder leurs enfants en vie. Ils n’avaient pas le choix, ils n’avaient pas la possibilité de trouver un nouvel emploi s’ils n’aimaient pas l’emploi qu’ils occupaient ou s’ils étaient mal traités. Ils travaillaient là où ils pouvaient trouver un emploi, là où on voulait bien d'eux. Ma génération a des options, des choix et des possibilités de trouver un travail qui nous passionne, un travail que nous voulons vraiment faire.
De même, Anthony, un aspirant conseiller en communication de 22 ans, étudiant à l’Université d’Ottawa, dont les parents ont immigré de la Jamaïque au début des années 1980, dit :
Mes parents ont dû se concentrer sur leur survie et ils ont occupé plusieurs emplois dans lesquels ils n’étaient pas heureux ou bien traités pour survivre. Je n'ai jamais eu à m'inquiéter de savoir d'où viendrait mon prochain repas ou si j'allais avoir assez à manger, j'ai donc pu me concentrer sur mes études et ce sont ces études qui m'ont donné les possibilités que j'ai aujourd'hui.
Jessica, une étudiante de 19 ans de North Preston, en Nouvelle-Écosse, une des plus anciennes communautés noires du Canada, envisage ses perspectives très différemment des générations précédentes de sa famille. Elle dit :
Les deux côtés de ma famille font partie de cette communauté depuis plus de 400 ans. Ils ont dû se battre. Ils ont dû apprendre à s’adapter et à survivre. Ils ont vécu le racisme et la négligence de leurs communautés. Ils ont survécu au froid. Je me sens privilégiée de faire partie de la communauté qu’ils ont contribué à bâtir. Même isolée du reste d’Halifax, j'ai des possibilités dont mes ancêtres n’auraient jamais pu rêver. Je peux faire des études et poursuivre une carrière en tant que femme noire qui veut contribuer à sa communauté composée d’autres personnes de race noire.
Narissa, une infirmière de 24 ans de Montréal, au Québec, a évoqué les sacrifices consentis par sa grand-mère, qui a quitté les Caraïbes en tant que jeune femme au début des années 1960 dans le cadre du programme de recrutement de domestiques antillaises du Canada, et la manière dont ces sacrifices ont façonné les possibilités qui lui sont offertes aujourd’hui :
Ma grand-mère n’avait que 18 ans lorsqu’elle a quitté la Jamaïque pour s’installer au Canada. Elle a laissé toute sa famille – ses deux parents et tous ses frères et sœurs – pour venir au Canada, ce qui était sa façon d’améliorer sa vie. Elle a été placée dans une maison de la haute société à Montréal et devait s'occuper des enfants, de la cuisine, du nettoyage, de la lessive et de tout le reste. On a vraiment profité d’elle. Elle n’a pas reçu le salaire convenu et elle a été très mal traitée par la maîtresse de maison. Ma grand-mère me disait tout le temps comment elle se sentait seule et isolée, mais elle a dû tenir bon. Finalement, elle a pu changer de maison et a été mieux traitée. Elle a rencontré mon grand-père et a eu ses propres enfants qui ont eu beaucoup plus de possibilités grâce aux sacrifices qu’elle a faits dans sa vie.
Même si le Canada n’a pas d'histoire de lois officielles imposant la ségrégation entre les Noirs et les blancs, les Noirs ont dû surmonter et combattre des politiques non écrites, des pratiques institutionnelles racistes et une discrimination flagrante en matière de logement, d'éducation, d'immigration, d’hébergement public et d'emploi (Waters, 2012).
Les jeunes auxquels nous avons parlé, quelle que soit leur connaissance de l’histoire des Noirs au Canada, ont compris que le travail des personnes de race noire dans l’histoire a contribué de manière significative aux possibilités des jeunes Canadiens noirs aujourd’hui.
Ainsi, Alex, un jeune cinéaste d’Edmonton, en Alberta, a dit :
Je pense qu’en tant que Canadien de première génération mes possibilités dépassent de loin celles des personnes qui m’ont précédé. Je crois que beaucoup de personnes noires, tout au long de l’histoire du Canada, ont dû faire tomber plusieurs barrières, et qu’elles continuent de le faire, pour créer des possibilités de carrière pour les Noirs.
Johnathan, un Canadien nigérian de deuxième génération de 23 ans vivant à Vancouver, en Colombie-Britannique, a mentionné que de nombreux activistes afro-canadiens avaient suivi les progrès du mouvement afro-américain pour les droits civiques et ont appliqué des idées à leurs propres efforts de lutte contre le racisme au Canada :
Les générations précédentes ont travaillé très fort parce qu’elles y étaient obligées. Elles ont travaillé plus fort que tous ceux qui n’étaient pas de race noire – elles devaient travailler plus fort qu’eux pour atteindre une sorte de norme égale. Grâce au mouvement pour les droits civiques aux États-Unis et au travail réalisé par les activistes canadiens, je pense que cela a permis aux Noirs, en général, de chercher à faire mieux que simplement travailler. Cela leur a donné l’occasion de dire : Hé, nous pouvons faire mieux. Par exemple, je peux faire des études. Je peux obtenir un poste de direction. Je peux être propriétaire de cette entreprise. Je peux diriger cette entreprise. Je pense donc que le mouvement pour les droits civiques a permis aux personnes de race noire de comprendre qu’elles n’étaient pas obligées de se contenter de travailler fort dans une entreprise à poste de premier échelon. Cela a créé l'état d'esprit pour les générations futures, et pour la génération actuelle, qu'elles peuvent faire à peu près tout ce qu'elles veulent.
Aalyeah, étudiante en sciences infirmières de 21 ans vivant actuellement à Toronto, en Ontario, fait remonter sa famille jusqu’aux premiers occupants d’Africville, en Nouvelle-Écosse. Comme beaucoup de colonies noires au début du Canada, Africville a d’abord été occupée par d’anciens esclaves fuyant les États-Unis. Aalyeah dit :
Les Canadiens de race noire ont dû faire tomber des barrières. Ils ont dû lutter contre l'inégalité, le racisme flagrant, le manque de ressources et la destruction pure et simple de leurs communautés pour faire respecter leurs droits humains et poursuivre des carrières où les possibilités leur avaient été historiquement refusées. Je ne dis pas que ces choses n'existent pas encore, mais nous avons des possibilités qui ont été carrément refusées à nos ancêtres.
Comme le résume Anthony :
Les personnes de race noire qui se sont battues et ont travaillé fort – elles se sont intégrées au marché du travail; ils ont ouvert la porte, de sorte que moi et les membres ma génération devons juste nous frayer un chemin.
Malgré les contributions remarquables des personnes de race noire, une inégalité et une discrimination raciales considérables perdurent sur les marchés du travail canadiens. Les Canadiens de race noire connaissent des taux de chômage plus élevés et ont des revenus plus faibles.
Dans le prochain article de cette série, nous examinons les données disponibles pour connaître les réalités actuelles des personnes de race noire sur le marché du travail canadien.
Références
Waters, R. (2013). African Canadian Anti-Discrimination Activism and the Transnational Civil Rights Movement, 1945-1965. Journal of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, 24(2), 386-424.
Suzanne Spiteri est sociologue et possède plusieurs années d’expérience dans l’analyse qualitative des données ainsi que dans les méthodes d’analyse mixtes. Elle dirige les projets portant sur le resserrement du marché du travail et la situation professionnelle des groupes sous-représentés.