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Que peuvent nous apprendre les données sur les Canadiens de race noire et le marché du travail?

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Février est le Mois de l’histoire des Noirs : une invitation à reconnaître, à célébrer et à saluer les grandes contributions des travailleurs de race noire à l’édification de l’économie, de la politique et des mouvements syndicaux du Canada.

Ce mois-ci, nous diffusons une série en trois parties sur le blogue du CIMT dans laquelle nous décrivons certains aspects de l’histoire des travailleurs canadiens de race noire, nous parlons à de jeunes Noirs de leurs perceptions des possibilités qui leur sont offertes sur le marché du travail, et nous examinons les réalités courantes du marché du travail pour les Canadiens de race noire en fonction des données disponibles.

Partie 3 : Que peuvent nous apprendre les données sur les Canadiens de race noire et le marché du travail?

Auparavant, nous avons discuté avec de jeunes Canadiens de race noire de leurs points de vue sur les types de possibilités auxquelles ils ont accès en raison des efforts des générations précédentes de personnes de race noire au Canada.  

Malgré les contributions des générations précédentes, il existe encore des différences importantes en ce qui concerne l’emploi et les revenus des personnes de race noire par rapport au reste de la population adulte canadienne.

Voici d’abord des renseignements généraux sur les Canadiens de race noire en tant que groupe de population :

Au cours des 20 dernières années, la population noire du Canada a presque doublé pour atteindre 1 198 540 personnes (2016).

La population noire représente maintenant 3,5 % de la population totale du Canada et 15,6 % de la population définie comme une minorité visible.

La population noire du Canada est jeune : elle est plus jeune que la population totale du pays, l’âge médian de la population noire étant de 29,6 ans contre 40,7 ans pour la population totale.

Les jeunes Noirs connaissent des écarts raciaux sur le marché du travail : ils ont un taux de chômage plus élevé, un taux d'emploi plus faible et des revenus plus bas que les autres jeunes Canadiens.

Voici ce que révèle le recensement de 2016 :

Le taux d’emploi des personnes de race noire de tous âges est inférieur à celui du reste de la population.

Pour les personnes en âge de travailler (25-64 ans), le taux de chômage global s’élevait à 10,1 % pour la population noire comparativement à la moyenne canadienne de 6,4 % pour la même cohorte.

Les jeunes Noirs (15-24 ans) avaient un taux de chômage plus élevé (24,3 %) que la moyenne des jeunes Canadiens (15,5 %).

En 2016, le taux d’emploi s’élevait à 78,1 % pour les hommes de race noire et à 71 % pour les femmes de race noire comparativement à 82,6 % et à 75,5 %, respectivement, pour leurs homologues du reste de la population.

L’écart du taux d’emploi a progressé considérablement durant la pandémie de COVID-19. En juillet 2021, le taux de chômage des Canadiens de race noire s’établissait à 16,8 %, tandis que la moyenne nationale s’élevait à 11,2 %.

Les Canadiens de race noire connaissent un écart de revenus important.

Un Canadien de race noire gagne 75,6 cents pour chaque dollar perçu par un travailleur non racisé.

Le revenu d’emploi annuel médian s’élève à 35 008 $ pour les adultes de race noire d’âge moyen (25-54 ans) et à 7 517 $ pour jeunes Noirs (15 à 24 ans) comparativement aux moyennes canadiennes de 42 374 $ et de 9 938 $, respectivement.

Comme le font remarquer Block et Galabuzi (2011), Ng et Gagnon (2020) et d’autres, le Canada a un marché du travail codé par couleur. Les Canadiens de race noire sont surreprésentés dans les emplois précaires, temporaires et peu rémunérés et sont sous-représentés dans les emplois de gestion bien rémunérés.  

Les jeunes avec lesquels nous nous sommes entretenus ont soulevé ce point lorsqu’ils ont parlé de leurs perceptions des possibilités qui leur sont offertes. 

Constatant que les femmes de race noire présentes sur le marché du travail canadien sont concentrées dans les secteurs des soins de santé et de l’aide sociale, Narissa, une jeune infirmière de Montréal, au Québec, dit :

Je suis fière de poursuivre la tradition d’être une infirmière de race noire au Canada, mais le rôle disproportionné que jouent les femmes de race noire dans le domaine des soins de santé en tant qu’infirmières, aides-soignantes et préposées aux bénéficiaires est le reflet de notre société dans son ensemble – de la façon dont nous percevons les femmes en général, et les femmes de race noire en particulier. C'est aussi le reflet du fait que nous ne pouvons pas accéder facilement à des postes plus élevés. Par exemple, les femmes de race noire ne sont pas surreprésentées parmi les médecins, les chirurgiens ou même les infirmières-praticiennes. En tant que femme de race noire, il y a des emplois que vous savez que vous n'obtiendrez pas, quelles que soient vos compétences.

Soulignant la ségrégation du marché du travail, Tiricia, une jeune femme travaillant à temps partiel dans un commerce de détail à Pickering, en Ontario, aborde l’incidence disproportionnée de la COVID-19 sur les Canadiens racisés :

Nous avons vu la vérité claire comme le jour durant la pandémie de COVID : les personnes de race noire étaient plus touchées par la COVID parce qu’elles sont cantonnées dans tous les emplois « essentiels » : commerce de détail, services d’alimentation et transports en commun et il s’agit d’emplois peu rémunérés et plus susceptibles d’offrir des congés de maladie.

Les jeunes avec lesquels nous nous sommes entretenus ont aussi souligné que la discrimination sur le marché du travail (en anglais seulement), notamment les décisions d’embauche à caractère raciste, l’hostilité de la part de l’employeur, les traitements défavorables et les stéréotypes raciaux, renforçait les obstacles aux emplois bien rémunérés et occasionnait l’écart de revenu important entre les Canadiens de race noire et les Canadiens non racisés.  

Une étude récente révèle qu’un employé de race noire sur deux au Canada a été victime de discrimination raciale en milieu de travail et que 96 % des Canadiens de race noire signalent que le racisme est un problème au travail. Quelque 78 % des Canadiens de race noire affirment que le racisme en milieu de travail est un problème grave ou très grave [en comparaison, la majorité (56 %) des participants de race blanche percevaient le racisme en milieu de travail comme un problème mineur ou pas de problème du tout].

Johnathan, un jeune de 23 ans de Vancouver, en Colombie-Britannique, dit :

Je pense que la plupart des personnes de race noire au Canada croient qu’elles seront victimes d’une forme quelconque de discrimination au travail parce que cela arrive tout le temps : blagues, suppositions et stéréotypes. Si cela ne vous est pas arrivé, vous connaissez quelqu’un à qui c’est arrivé.

Austin, un jeune de 21 ans de Toronto, en Ontario, qui travaille actuellement comme cuisinier à la chaîne, mais qui espère trouver un emploi dans le domaine de la publicité et de la conception numérique, dit :

J’ai récemment obtenu mon diplôme d’études collégiales et j’ai cherché partout un emploi dans mon domaine. Même s'il y a beaucoup de postes vacants, j'ai beaucoup de mal à trouver un emploi. J'envoie des tonnes de CV et, parce que mon nom a une consonance blanche, je reçois de nombreux appels et je passe beaucoup d'entrevues, mais dès que je me présente et qu'ils me voient, l'ambiance n'est pas du tout la même - comme s'ils ne s'attendaient pas à ce que je sois de race noire. Et même si j'ai l'impression de bien réussir mes entrevues, je n'ai jamais de réponse.

De même, Tiricia raconte certaines de ses expériences de discrimination en milieu de travail :

Qu’il s’agisse de la discrimination liée aux noms des personnes de race noire, du fait que l'on vous rabaisse ou que l'on suppose que vous n'êtes pas très intelligent, je pense que la discrimination raciale sur le lieu de travail est une expérience très courante.

Dans le même ordre d’idée, Aalyeah, une étudiante en sciences infirmières de 21 ans de Toronto, en Ontario, dit :

Ils vous posent des questions sur vos cheveux. Ils sont surpris lorsque vous êtes intelligent et que vous vous exprimez bien ou que vous travaillez dur. Ou alors, vous êtes tout simplement exclu de tout : personne ne veut vraiment vous parler, ils font des projets entre eux, et vous êtes complètement exclu.

Ces expériences vécues sur le marché du travail confirment ce que d’innombrables études menées partout au pays ont permis de constater : dans l’ensemble du Canada, des barrières considérables demeurent ancrées le long de lignes raciales.

Références

Block, S., et Galabuzi, G. E. (2011). Canada’s colour coded labour market. Centre canadien de politiques alternatives, 1-20.  

Ng, E. S., et Gagnon, S. (2020). Écarts en matière d’emploi et sous-emploi chez les groupes racialisés et les immigrants au Canada : résultats actuels et orientations futures. Toronto : Forum des politiques publiques. 

Agence de la santé publique du Canada (2021). Édition du dimanche de l’ACSP : L’incidence de la COVID-19 sur les communautés racialisées. https://www.canada.ca/fr/sante-publique/nouvelles/2021/02/edition-du-dimanche-de-lacsp-lincidence-de-la-covid-19-sur-les-communautes-racialisees.html. Consulté le 15 janvier 2023. 

Zou, C., Borova, B., Oladapo K. O., Parkin, A. (2022). Les expériences de discrimination au travail. Centre des Compétences futures.

Suzanne-photo-v2

Suzanne Spiteri est sociologue et possède plusieurs années d’expérience dans l’analyse qualitative des données ainsi que dans les méthodes d’analyse mixtes. Elle dirige les projets portant sur le resserrement du marché du travail et la situation professionnelle des groupes sous-représentés.

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