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Une brève histoire des travailleurs canadiens de race noire au 20e siècle

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Février est le Mois de l’histoire des Noirs : une invitation à reconnaître, à célébrer et à saluer les grandes contributions des travailleurs de race noire à l’édification de l’économie, de la politique et des mouvements syndicaux du Canada.

Ce mois-ci, nous diffusons une série en trois parties sur le blogue du CIMT dans laquelle nous décrivons certains aspects de l’histoire des travailleurs canadiens de race noire, nous parlons à de jeunes Noirs de leurs perceptions des possibilités qui leur sont offertes sur le marché du travail, et nous examinons les réalités courantes du marché du travail pour les Canadiens de race noire en fonction des données disponibles.

Partie 1 : Une brève histoire des travailleurs canadiens de race noire au 20e siècle

Des personnes de race noire vivent et travaillent au Canada depuis des siècles.  

Depuis le travail forcé de plus de 4 000 esclaves d’origine africaine dans les colonies britanniques et françaises qui sont devenues le Québec, l’Ontario, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick, les Noirs constituent depuis longtemps un élément important de la main-d’œuvre et des mouvements syndicaux au Canada.  

De 1830 à 1850, des milliers de Noirs ont fui les États-Unis pour se rendre au Canada, où ils ont trouvé un travail « abondant » et « rémunéré équitablement » (Adams, 2011). 

Cependant, au début des années 1900, les hommes de race noire étaient cantonnés à un éventail étroit d’emplois de bas niveau et étaient généralement exclus de l’essor que connaissaient les secteurs industriels et les cols blancs. Le travail des femmes de race noire était concentré dans des emplois encore plus restreints et moins bien rémunérés que ceux de leurs homologues masculins.  

Bien que l’urbanisation et l’industrialisation à l’aube du 20e siècle aient donné lieu à une transformation à grande échelle de l’économie canadienne, la période a été marquée par un déplacement de l’emploi pour les personnes de race noire au Canada. En raison d’une « marée montante de préjugés » (Adams, 2011), les travailleurs noirs étaient limités aux emplois peu qualifiés, aux cols bleus et aux travaux de service et leurs possibilités étaient limitées.

Première Guerre mondiale

Au cours de la Première Guerre mondiale, les Canadiens de race noire ont joué un rôle extrêmement important dans les interventions du Canada en temps de guerre.

Les soldats noirs étaient impatients de participer aux efforts du Canada pendant la Première Guerre mondiale, même s’ils ont été automatiquement rejetés pour des motifs raciaux jusqu’en 1916 (Bogdanowicz, 2017).1

Le 2e Bataillon de construction, une unité composée entièrement de militaires noirs, a été créé en réponse aux pressions politiques exercées par des dirigeants canadiens de race noire et des membres sympathisants du public. Un groupe de femmes noires qui, bien qu’elles n’aient pas eu accès à une formation formelle d’infirmière, ont fondé les Black Cross Nurses pour venir en aide aux soldats blessés et à la communauté noire (Jefferies, 2022).

Cependant, malgré ces contributions, les années d’après-guerre ont été marquées par une augmentation de la discrimination à l’égard des Noirs et l’adoption de règlements restrictifs en matière d’immigration visant à « rétablir le caractère anglo-saxon de la population canadienne ».

En raison des contraintes économiques et sociales imposées aux Canadiens de race noire durant cette période, ceux-ci avaient peu de possibilités d’emploi en dehors de l’agriculture de subsistance et des travaux physiques. Les personnes ayant pu immigrer au Canada, en particulier celles en provenance des Caraïbes, étaient restreintes à des emplois dans le secteur des services, les chantiers maritimes et les usines d’acier et de charbon en Nouvelle-Écosse en raison de la ségrégation des travailleurs et du mythe selon lequel les Noirs pouvaient mieux résister à la chaleur que les personnes blanches (Calliste, 1993).2 

Seconde Guerre mondiale

La Seconde Guerre mondiale a vu, une fois de plus, la participation enthousiaste des Canadiens de race noire : des milliers d'entre eux ont servi pendant la guerre la plus sanglante que le monde ait jamais connue. (Anciens Combattants Canada, 2022). 

Sur le front intérieur, les femmes de race noire ont participé au Service féminin de l'Armée canadienne et au Service féminin de la Marine royale du Canada afin de libérer les hommes de rôles de non-combattants dans les forces armées canadiennes.  

Au pays, un grand nombre de femmes de race blanche ont quitté leurs emplois de domestiques et de travail de service pour des emplois plus lucratifs dans les industries de guerre. En conséquence, les femmes de race noire ont trouvé de nouvelles possibilités d’emploi en tant que nourrices, travailleuses dans les usines de tabac, de vêtements et de bonbons, ouvrières agricoles et secrétaires. (Theobald, 2008).  

Sur le front intérieur, les hommes de race noire travaillaient couramment comme porteurs ferroviaires. Ce travail était stable, respecté dans la communauté noire et, en raison du salaire mensuel supérieur à la moyenne, permettait aux hommes de subvenir aux besoins de leurs familles pendant la guerre (Theobald, 2008). 

L’augmentation importante du trafic ferroviaire pendant la guerre a entraîné une hausse de la demande de porteurs, laquelle a permis, en partie, aux porteurs noirs de créer leur propre syndicat. La Fraternité des porteurs de wagons-dortoirs est devenue le premier syndicat noir des chemins de fer en Amérique du Nord, obtenant des augmentations de salaire pour les porteurs, la rémunération des heures supplémentaires et le droit de présenter leur cas dans les affaires disciplinaires (Calliste, 1995).  

Le syndicat est devenu une force organisatrice derrière des mouvements de défense des droits civiques, dont la Canadian Association for the Advancement of Colored People et la Negro Citizenship Association, et la création du Women's Auxiliary (Chateauvert, 1995).

Après-guerre

Bien que les groupes communautaires noirs et la presse locale aient exprimé une grande fierté pour les efforts des Canadiens de race noire qui ont soutenu les efforts de guerre, une fois de plus, l'inégalité raciale a persisté dans l'après-guerre.  

Les jeunes femmes de pays anglophones des Caraïbes qui sont venues au Canada en tant que travailleuses domestiques entre 1955 et 1967 dans le cadre du programme de recrutement de domestiques antillaises, un programme d’immigration ciblée, ont fait face à beaucoup de discrimination raciale et d’hostilité à leur arrivée au Canada (Parcs Canada, 2020). 

Les personnes de race noire ont fourni un apport notable à tous les aspects de la vie au Canada, notamment des contributions importantes à la main-d’œuvre et aux mouvements syndicaux qui ont aidé à ouvrir la voie à des changements considérables dans tous le Canada, dont la promulgation historique de lois fédérales et provinciales interdisant la discrimination raciale, l’adoption de lois sur l’emploi équitable et la transformation de la politique d’immigration du Canada pour encourager et accueillir des immigrants des anciennes colonies ayant des populations noires.3

Notes

1 Theobald (2008) souligne que les Canadiens de race noire s’enrôlaient dans les forces armées non seulement par patriotisme, mais également pour montrer leur loyauté envers l’Empire britannique dans l’espoir d’obtenir le droit à l’égalité. 

2 Il ne faut pas oublier que la population noire du Canada n’est pas homogène. Les Canadiens de race noire sont incroyablement diversifiés en ce qui concerne les origines ethniques et culturelles, les lieux de naissance, les langues et les religions.  

3 En 1944, l’Ontario adopte la Racial Discrimination Act, une loi historique, qui interdit la publication ou l’affichage de symboles, d’enseignes ou d’avis qui expriment de la discrimination ethnique, raciale ou religieuse. La loi a donné lieu à d’autres mesures législatives de fond dans l’ensemble du pays, dont la Social Assistance Act en 1945 en Colombie-Britannique et le Bill of Rights en 1947 en Saskatchewanqui interdisent la discrimination; en 1948, le Canada devient signataire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. 

Références

Adams, T. (2011). Making a Living: African Canadian Workers in London, Ontario, 1861–1901. Labour/Le Travail, 67, 9-44.  

Bogdanowicz, M. (2017). A 'white man's war'? Canadian blacks' contribution to Canada's effort in the great war. TransCanadiana, (9).  

Calliste, A. (1993). Women of exceptional merit: Immigration of Caribbean nurses to Canada. Can. J. Women & L., 6, 85.  

Chateauvert, M. (1997). Marching together: Women of the brotherhood of sleeping car porters (Vol. 331). University of Illinois Press.  

Jeffries, K. (2022). Black nurses in the nursing profession in Canada: a scoping review. International Journal for Equity in Health, (21). 

Parcs Canada. Le programme de recrutement de domestiques antillaises (1955-1967). https://www.canada.ca/fr/parcs-canada/nouvelles/2020/07/le-programme-de-recrutement-de-domestiques-antillaises-1955-1967.html. Consulté le 15 janvier 2023. 

Theobald, S. J. (2008). A false sense of equality: the black Canadian experience of the second world war (Thèse de doctorat, Université d'Ottawa (Canada)). 

Anciens Combattants Canada. Les Canadiens noirs en uniforme — une fière tradition. https://www.veterans.gc.ca/fra/remembrance/people-and-stories/black-canadians. Consulté le 15 janvier 2023.

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Suzanne Spiteri est sociologue et possède plusieurs années d’expérience dans l’analyse qualitative des données ainsi que dans les méthodes d’analyse mixtes. Elle dirige les projets portant sur le resserrement du marché du travail et la situation professionnelle des groupes sous-représentés.

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